En salle

05 octobre 2010

Jeunes paumés

Arrivé à l’étage où je bosse, ce matin, les portes de mon ascenseur se sont ouvertes. Devant la porte, il y avait un gigantesque aspirateur que promenait une jeune femme tout aussi gigantesque. J’ai compris qu’il s’agissait d’une nouvelle femme de ménage (je ne suis pas maniaque mais le ménage est moins bien fait depuis vendredi dernier, 1er octobre). Je ne pouvais pas sortir alors j’ai attendu qu’elle bouge. Elle n’y a pas pensé alors j’ai enjambé le bordel comme j’ai pu sans retourner la dame et je l’ai observée : elle-même ne savait pas comment entrer dans l’ascenseur puisqu’elle ne tenait pas l’aspirateur mais juste le tuyau, elle avait beau pousser le tuyau, l’aspirateur ne rentrait pas…

Je suis allé à mon bureau, la porte est fermée à clés. Normalement, elle est ouverte avant huit heures par le personnel d’entretien. Elle n’avait pas pensé à le faire. Le ménage n’était donc pas fait dans le bureau.

Le patron de la Comète dirait qu’il lui manque deux mois de cuisson avant la naissance. Pour ma part, j’emploie souvent l’expression : elle a été terminée à la pisse.

Je parle souvent des petits vieux de Bicêtre, mes copains de comptoir, souvent des sordides histoires de solitude, de mort, de toubib qu’on n’arrive pas à payer. Je commence à rédiger mon billet puis je rentre dans une sorte de transe pour en sortir un papelard, parfois émouvant, parfois plein de tendresse (parfois raté).

Je ne parle jamais des jeunes de mon entourage et je fais bien, ils ont Internet… et je suppose qu’ils vérifient parfois que je ne raconte pas des conneries sur leur dos.

Alors, je vais parler de ma femme de ménage, au bureau, que je ne connais que depuis une dizaine de minutes. Je suppose qu’un service social quelconque l’a aidée à trouver du boulot auprès d’une société d’entretien, bien contente de trouver du personnel pas trop cher, peut-être même aidé par la Cotorep, qui l’a balancée dans une Tour de la Défense sans même passer une demi heure avec elle pour lui expliquer son job.

J’ai allumé mon PC et suis allé prendre un café. Une minute plus tard, elle était dans la pièce où je bosse, à astiquer mon bureau, celui où une veste était posée sur la chaise. Je suis resté debout à rêver d’un œil devant la fenêtre et à la surveiller de l’autre. Elle a fini mon bureau, ne s’est pas occupée de celui des autres, a bredouiller un « bonne journée », visiblement impressionnée de se retrouver devant un type de 100 kg de 15 ans ou 20 ans de plus qu’elle équipé d’une chemise et d’une cravate.

C’est comme si elle avait peur. Elle est partie.

Je l’imagine, rentrant dans son « foyer », à attendre le soir, que les bureaux se vident pour qu’elle puisse bosser chez un nouveau client, toute seule, la peur au ventre de tomber sur un directeur qui n’a pas fini sa journée à 20 heures.

Sa seule famille est probablement l’assistante sociale. Ou alors elle vit chez son père alcoolique. Ou avec sa mère débile, s’occupant de ses 18 petits frères et sœur qu’elle a eus avec 23 pères différents.

Elle est seule. Peut-être a-t-elle un petit copain qui l’amène manger un Mac Do, le samedi soir, avant de… heu… non rien.

Non. Je n’en sais rien. Peut-être a-t-elle des parents. Peut-être sa réaction est-elle due à une excessive timidité.

Mais je ne crois pas.

J’ai envie, ce matin, de parler de ces jeunes de mon entourage à qui il a probablement manqué des parents pour les pousser, les aider. Ces jeunes qui n’ont eu comme amis que des loulous cherchant à profiter et les laissant tomber au moindre pépin, incapables de les aider à remplir une feuille d’impôt lorsque la première année de salaire est tombée, incapables de leurs donner les moindres conseils pour les relations avec un employeur, les poussant toujours à faire des conneries, à démissionner, à changer de boulot, à changer de forfait de téléphone, à changer d’ordinateur, à changer d’appartement, à changer de copine, …

Arrivés à 25 ans ou 35 ans, que sais-je (ils resteront plus jeunes que moi), ils n’ont jamais trouvé la moindre stabilité, jamais de personne de confiance, …

Alors, périodiquement, ils reviennent au comptoir de la Comète où une brochette d’andouilles de 45 à 65 ans sont là depuis dix ans, les engueulent quand ils ont fait des conneries, leur prêtent de l’oseille au besoin et les incluent dans les tournées, sans même se poser de question, …

A trente ans, ils ne savent toujours pas ce que leur réserve la vie, s’ils auront encore les moyens de payer un loyer dans deux mois.

Mais ils redémarrent. Parce qu’il le faut bien.

39 commentaires:

  1. "à astiquer mon bureau"Cette précision était utile.

    RépondreSupprimer
  2. La transe du jour a donné un billet réussi, et franchement touchant...

    Rien à rajouter...

    RépondreSupprimer
  3. Je trouve qu'elle mérite d'être creusée, cette nouvelle femme de ménage.
    Tu pourrais nous en dire chaque jour un peu plus, si son CDD lui permet de nous la faire connaître parfaitement avant qu'elle ne se retrouve à nouveau sans blouse et sans aspiro.

    RépondreSupprimer
  4. Zette,

    Je crois qu'elle ne tiendra pas...

    RépondreSupprimer
  5. Je suis rassuré ce n'est pas ma voisine qui se lève tous les jours vers 5H30 pour aller faire des ménages justement.
    Elle pèse 0,8 Nicolas (et fait du bruit ds le couloir, mais je lui pardonne) et en plus a tous les neurones là où il faut.

    Rajoute un détail dans ton billet: Cetelem pour les achats, ou son salaire de smic à temps partiel (+- 800 ou 900 euros net) et tout qui augmente : le kilo de patate x5 en 10 ans,idem pour les pates, la santé + 40%, les loyers qui s'envolent depuis 10 ans.

    ca me donne une idée de billet sur la France qui se lève tôt et qui a été souvent trompée par la bande UMP: faire des heures supplémentaires qd on est a temps partiel = LOL. celle qu'on croise la matin dans les premiers bus ou premiers metros.

    Ou alors qu'on croise le soir à 19h dans les bureaux de boites du cac40 et que bcp de gens ne "voient pas" ou "méprisent". Et ne parlons pas des politiques.

    Tiens hier soir sur m6, l'autre pas pute et pas soumise a expliqué que dans les cabinets ministériels y'avait plein d'Enarques qui ne comprenaient rien à le vie des gens.

    Quel scoop !

    RépondreSupprimer
  6. Distinction sociale entre les "parce que je le vaux bien" et les "parce qu'il le faut bien". L'ascenseur social est en panne au pied de la tour, il est bloqué par une jeune femme gigandesque.

    RépondreSupprimer
  7. Dagrouik,

    J'avais déjà fait le billet sur le CETELEM ! J'avais été obligé de racheter le crédit d'un gugusse et de me faire rembourser (à taux 0) sur deux ans.

    Pour les femmes de ménage, c'est abominable : je suis matinal, donc je les connais un peu, mais personne ne les connait. Ce qui n'empêche pas de les critiquer.

    Pour le reste, on pourra en sortir des pages sur les problèmes "des jeunes" mais, à l'origine, je voulais insister sur la "solitude" ou plus exactement le manque "d'adulte référent" (mais j'ai abandonné, ça faisait neuneu).

    RépondreSupprimer
  8. Cerise,

    Oui mais ce qui est affreux est qu'ils n'ont aucune chance de chopper un ascenseur.

    RépondreSupprimer
  9. Il n'y a pas QUE des jeunes sans parents qui les aident/aiment dans cette situation...
    Ton billet me fiche les larmes, on dirait que tu parles de mon petit frere parce que oui, c'est son boulot : racler des wc, faire les sols, les bureaux, les escaliers, les vitres... et ce n'est pas faute d'avoir essayé de bosser tous les soirs avec ma mere pour lire, écrire, comprendre, avec une orthophoniste par la suite...
    pere ouvrier, mere secretaire, crédit sur XXXXX ans pour la maison, la voiture. On n'était pas à l'assistance sociale mais on était heureux et la confiture, au lidl ou chez leader, elle a le même gout.
    aujourd'hui mon frere se leve entre 3h et 4h tous les matins pour aller taffer, apres avoir enchainé tout un tas de petits boulots.
    Je trouve ce billet SUPER BEAU et bien écrit, mais les gens qui font ce boulot ne sont pas tous issus du délaissement par leurs famille.

    RépondreSupprimer
  10. La mère Castor,

    Merci !

    Ju,

    Merci !

    Tu vois, c'est tombé sur une femme de ménage parce que c'est elle qui passait par là au moment où j'avais l'idée du billet, mais ça concerne tout boulot qui peut être fait sans formation (mais je ne voulais pas parler des cas auxquels je pensais).

    Je voulais plus spécifiquement parler de ces jeunes qui n'ont pas "d'adulte référent", comme je le disais à Dagrouik, et qui sont seuls avec leur difficulté (tiens, j'ai un copain malvoyant informaticien, auquel je pensais aussi en écrivant ce billet) jusqu'à un hypothétique mariage qui leur procurera peut-être stabilité. Ils bossent dur pour s'en sortir, doivent rebondir en permanence, ...

    RépondreSupprimer
  11. "ces jeunes qui n'ont pas "d'adulte référent", "
    ca continue attends là t'es en train d'insulter mes parents !
    grrrr !
    au final, mon frere a la meme vie que mon pere qui fait les trois huits... et ça lui plait parce qu'il l'a choisi.
    mais je vois ce que tu voulais dire, tu voulais prendre l'exemple de la nenette pour parler des "kassoss"

    RépondreSupprimer
  12. Non, Ju, je n'insulte pas tes parents. Les "femmes de ménage" ne sont pas le sujet du billet.

    RépondreSupprimer
  13. oui j'ai capté mais selon toi, les "kassoss" n'ont pas d'adulte referent, c'est pas toujours vrai

    RépondreSupprimer
  14. Mais non ! Je n'ai pas dit ça ! Mon billet ne porte pas sur les kassoss mais sur les jeunes sans adulte référent... Je le dis dans le billet : "J’ai envie, ce matin, de parler de ces jeunes de mon entourage à qui il a probablement manqué des parents pour les pousser, les aider."

    RépondreSupprimer
  15. "elle est ouverte avant huit heures par le personnel d’entretien avant huit heures."

    Quand tu fais des chouettes textes, tu devrais prendre 5 minutes pour bien te relire, ça vaut le coup :-)

    La prochaine fois que tu vois ta femme de ménage, engage la conversation avec elle, peut être que son boulot lui semblera moins con, et puis tu nous raconteras, maintenant c'est un personnage de ton blog.

    RépondreSupprimer
  16. allez, j'arrête ma crise ;-)
    j'ai compris, t'inquietes !
    parle leur et tu verras qu'il y a plein de richesses à l'intérieur !

    RépondreSupprimer
  17. Rimbus,

    Merci et tout ça... (je corrige).

    Je papotais avec les précédents, je papoterai avec celle là...

    RépondreSupprimer
  18. Ju,

    Ca fait des années que je papote avec le personne d'entretien ! Qu'est-ce que tu vas imaginer ? Que j'ai un regard condescendant ?

    Moi pas. Des collègues oui. Dans ma précédente boite, le ménage commençait à 17 heures 30 et la plupart des gens se barraient à 18h... C'était le bordel ! Donc les gens critiquaient le personnel d'entretien sans même se rendre compte que quand ils bossaient, c'était quatre heures le matin et quatre le soir au maximum. Impossible d'avoir une vie "normale", un peu comme un boulanger qui doit se coucher à 19h pour se lever dans la nuit...

    RépondreSupprimer
  19. loin de moi cette idée
    c'était pour te dire "vas y fonce" !

    RépondreSupprimer
  20. loin de moi cette idée
    c'était pour te dire "vas y fonce" !

    RépondreSupprimer
  21. Ce billet me rappelle un célebre billet de Guy Birenbaum sur le DEL : "Largués"

    RépondreSupprimer
  22. Jean,

    Je crois que je me rappelle. C'était à propos de jeunes qui espéraient gagner de l'argent en faisant du journalisme après s'être fait connaitre par leurs blogs ?

    RépondreSupprimer
  23. Non, le billet parlait de la solitude moderne des "jeunes" et de ses "folies" afférentes, j'ai essayé de faire un recherche dans le del (accecible chez GB), mais c'est le borDEL… !

    RépondreSupprimer
  24. Pas la peine de déterré les vieux billets ! Laissons les nous hanter.

    RépondreSupprimer
  25. Ta femme de ménage a finalement de la chance dans son malheur ! Elle a quand même un boulot...

    Il y a 30 ans, il y avait pas mal de petits boulots (sûrement mal payés) qui permettaient à des personnes pas "aidées par la nature" à s'assumer et à avoir une place dans la société...

    Maintenant, ce n'est plus possible... La plupart des "jeunes" d'aujourd'hui ne veulent plus prendre ces jobs et ce sont les immigrés (ou français d'origine...) qui s'y collent !

    On vit dans un drôle de monde :-/

    RépondreSupprimer
  26. Dadavidov,

    Il y a des jeunes qui veulent bosser : à un moment, il n'y a plus le choix, il faut vivre...

    RépondreSupprimer
  27. jeandelaxr soulève un lièvre.
    Je le vois dans mon entourage.
    t'en as plein, aujourd'hui, qui veulent faire du fric, gagner leur vie, sans trop savoir quoi faire, pas de passion ni de projection dans les 30 ou 40 années qui viennent.
    Je parle de gens qui auraient les capacités de faire tout ce qu'ils veulent.
    je trouve ca assez grave à vrai dire.

    RépondreSupprimer
  28. Oui. Dans la foulée de ce billet, il serait intéressant de savoir si c'est lié à un problème d'éducation (au sens large), la faute à pas de chance (tu te retrouves à 22 après avoir foiré un DUT), ou un truc lié au caractère, à la personnalité.

    RépondreSupprimer
  29. Je pense qu'il y a pas mal de facteurs, qui coîncident et se mélangent ou se superposent, parfois.
    Trouvé très touchant, ton billet.
    Eu une expérience, comme ça d'homme de ménage, sauf qu'il me fallait contourner leurs pieds avec ma serpillière, étant donné qu'on m'avait parachuté là aux heures oû tout le monde bossait.
    Néanmoins, j'aurais aimé voir au moins un de ces noeuds se lever, rien que quelques secondes, rien qu'une seule fois, mais non, que dalle, pas un n'a bougé, et je ne parle même pas du regard (je n'existais tout bonnement pas)...
    Et le côté mal à l'aise, où l'on se sens terriblement inférieur, j'y ai goutté pas mal, aussi.

    RépondreSupprimer
  30. C'est très beau et très sensible, comme toujours, je ne vais pas être très original.

    Quand ces femmes ou hommes de ménage bossent pour des prestataires extérieurs, ils ne sont pas formés, et sont obligés de faire leur travail vite et mal. J'ai vécu dans une structure publique le passage d'un service interne à une externalisation : moins de propreté, plus de stress pour les employés. Alors dans l'immédiat, gain financier pour ladite structure sans doute, mais à quel prix ? C'est ce qu'on appelle des économies de bout de chandelle.

    RépondreSupprimer
  31. Romain, MHPA,

    Merci !

    Romain,

    Oui, ces économies de bout de chandelle me fascinent dans toutes les entreprises où j'ai bossé (depuis plus de 20 ans, le phénomène est progressif) mais je ne peux pas en faire un billet "dans mon style", il faudrait que je trouve des exemples précis. Mais la somme des bouts de chandelle coûte très cher...

    MPHA,

    A la limite, le fait qu'ils ne bougent pas ne me choquent pas énormément : ils sont dans leur truc, tu les déranges dans leur boulot. Ca serait évidemment la moindre des choses qu'ils bougent leur cul, mais...

    Mais je crois que c'est ce sentiment d'infériorité qui doit être atroce (alors qu'en fait, le bureaucrate s'en fout) pour "le petit personnel". J'en parle d'ailleurs dans le billet, au moment où elle me dit "bonne journée".

    RépondreSupprimer
  32. Emouvant. Oui, cela a déjà été dit, mais tant pis. Par contre, cela n'a pas l'air d'aller ...
    Bonne soirée tout de même.

    RépondreSupprimer

La modération des commentaires est activée. Je publie ceux que je veux. On ne va pas reprocher à un journal de ne pas publier tous les courriers des lecteurs...