En salle

24 septembre 2023

De l'intelligence artificielle à la connerie naturelle

 


Depuis environ un an et la sortie « publique » de ChatGPT, on parle beaucoup d’intelligence artificielle. Vous pouvez utiliser Google News pour mesurer la percée de l’IA… au moins dans les médias. Deux informations ont retenu mon attention, cette semaine. Tout d’abord, Elisabeth Borne a lancé un comité machin avec pour but « pour but de contribuer à éclairer les décisions du Gouvernement et faire de la France un pays à la pointe de la révolution de l'intelligence artificielle. » Ensuite, une entreprise de « veille médiatique » a décidé de remplacer « Remplacer plus de 200 emplois par une intelligence artificielle ».

Pour commencer ce billet, je tiens à rappeler que l’IA n’a rien de neuf. Par exemple, c’est un thèmes centraux de « 2001, l’Odyssée de l’espace », dont le tournage a commencé à 1965 et il est fort probable que Stanley Kubrick y pensait depuis quelques années. Wikipedia nous dit que des « êtres artificiels » étaient présents dans la mythologie grecque et que des « machines pensantes » étaient évoquées dans la littérature dès le XIXe siècle. On ne va pas refaire l’histoire mais notre encyclopédie favorite en ligne estime la naissance de l’IA entre 1943 et 1956.

 


Nous sommes dimanche et je peux me permettre un billet un peu personnel. Mon père était passionné par l’informatique et, avec des amis, il avait créé un club de microinformatique, Microtel, au bled, dans les années 1970. Dès mes 12 ou 13 ans, il m’amenait avec lui ce qui fait que cela fait à peu près 45 ans que je fais de la programmation (on appelle ça « du code », maintenant). J’ai même été formateur très peu de temps après, avant que la gauche n’entame le tournant de la rigueur. Les années ont passé et j’en ai fait un métier, commençant un premier vrai stage avant mes 20 ans et un vrai boulot, 18 mois plus tard, avec le statut « d’ingénieur d’application junior » ce qui ne veut rien dire mais ça faisait la fierté de ma mère d’avoir un fils « officiellement » ingénieur avec un bac plus deux suivis d’une année de formation professionnelle (à chier). Elle n’était pas dupe mais, comme j’étais assez nul en classe, elle s’était toujours demandé ce qu’elle allait faire de moi… Et j’étais casé avant mes 21 ans, avec un vrai métier prometteur. Quant à moi, à 23 ans, je me foutais de la gueule de mes collègues, vrais ingénieurs, mais touchant moins que moi… J’avais déjà 10 ans expérience, développé des vraies applications (par opposition à leurs exercices de TD), surtout des jeux.

Fini la gloriole pour aujourd’hui !

J’avais quitté la résidence familiale pour mes études en 1984 et, quand je rentrais le week-end, nous discutions souvent informatique avec mon père. Je me rappelle une longue discussion au sujet de l’intelligence artificielle et, pour la fête des pères en 1989 (je m’en rappelle car je faisais mon service), je lui avais acheté un livre à ce sujet.

Tout ça pour dire que les notions d’intelligence sont à la disposition du grand public depuis au moins 35 ans, sans doute 40. Il n’empêche que j’avais tenté de lire ce bouquin et j’avais abandonné, tant il était chiant et loin de l’informatique que je pratiquais au quotidien. Je suppose que mon père ne l’a jamais ouvert…

 


Toujours est-il que c’est avec ces 35 ans de retard que les médias généralistes ont commencé à aborder le sujet, sans doute à l’occasion des premiers tests de ChatGPT. On ne va pas leur donner tort pour différentes raisons, la principale était qu’on se demandait si l’IA existait vraiment et ce que cela voulait dire.

Jusqu’à il y a quelques années, alors que je m’étais intéressé au sujet trente ans avant, je n’avais qu’une vague idée, genre « des logiciels capables d’apprendre tout seul » sans trop savoir ce que cela voulait dire et sans avoir la moindre idée de la mise en pratique au niveau de la programmation. Je pensais, en fait, que c’était du vent. Les ordinateurs devenant plus puissant, tant au niveau de la vitesse de calcul que de la mémoire, on pouvait leur faire faire des choses encore plus compliquées.

 


Notons qu’à un niveau politique, c’était déjà très important pour moi. Le monde du travail avait connu des grosses évolutions depuis des décennies mais le « travail intellectuel » allait lui-même être révolutionné assez rapidement, entraînant la disparition de métiers. J’ai d’ailleurs pu le constater moi-même, pour un domaine d’activité que je ne connaissais pas, à l’occasion du règlement de la succession de ma mère (tant qu’à parler de la famille…). La notaire avait des logiciels informatiques pour faire « ses trucs ». Nous relisions un document, y apportions des corrections (sous Word, sachons rester simples…) et, automatiquement, les documents officiels étaient établis et nous pouvions les signer avec une espèce de « signet » sur un genre de tablette.

D’ici quelques années, avec l’interconnexion des systèmes informatiques, tout sera fait automatiquement : les données seront récupérées auprès des banques et autres institutions gérant le pognon, comme les assurances, mais aussi les services de l’Etat, les cadastres et tous ces trucs, comme les services d’état-civil.

Les métiers de notaires et de clercs de notaire vont bien évoluer. Ce n’est pas mon domaine mais je les incite à la plus grande prudence mais aussi, comme on dit, à la « proactivité ».

 


Tout cela n’a strictement rien à avoir avec l’intelligence artificielle, pourtant. C’est de la simple algorithmique. Tu modifies un chiffre, ça modifie les totaux, tu cliques sur un truc, ça te sort un bidule et, avec un machin, tu l’envoies automatiquement à un autre bastringue.

Malheureusement, j’avais été conforté dans mon idée que l’IA n’existait pas vraiment au cours d’une formation professionnelle. Comme tout le monde, j’ai droit à quelques jours par an et, périodiquement, je choisis des formations généralistes (par opposition à techniques) relatives à des évolutions des pratiques de la profession, comme le « cloud », le « chat », le « big data » ou, quelques années auparavant, le « BYOD » (t’as qu’à prendre un dictionnaire…). Vers 2018, donc, au cours d’un de ces types de séminaire, il y avait quelques heures consacrées à l’intelligence artificielle. Le formateur n’avait fait que développer ma théorie, en gros que l’IA est du pipeau et que tout cela n’était que de « l’algorithmique », à savoir l’utilisation de la puissance croissante des ordinateurs pour en faire plus.

Je l’ai même peut-être bien écrit dans mon blog.

 


Cette ignorance est sans doute une des explications du fait que notre première ministre lance que maintenant des études pour que la France devienne à la pointe de ce secteur alors que des boites américaines sont déjà à fond dedans. On est comme ça, en France… Sans compter les décalages entre les ambitions politiques et les mises en œuvre sur le terrain.

Cela n’empêche pas la France (c’est très récent) d’être « au premier rang de l'indice de qualité de vie numérique sur 110 pays analysés en 2023. Ce classement mondial se base sur plusieurs critères comme l'accessibilité financière et la qualité du réseau Internet, le développement des infrastructures, le niveau d'administration électronique, ou encore la cybersécurité. » 

 


Il y a un an, un de mes collègues proches (son bureau est en face du mien), qui développe des petites applications en parallèle de nos systèmes principaux, a commencé à utiliser des technologies « du cloud » mais aussi de « l’intelligence artificielle » et m’a montré des trucs bluffant qu’il arrivait à faire. J’ai commencé à douter de mes croyances malgré ma chère liberté de conscience.

ChatGPT est sorti quelques mois ce qui achevé ma conversion. ChatGPT n’est tout de même pas un outil d’intelligence artificielle mais un « agent conversationnel » utilisant l’intelligence artificielle, ce qui peut provoquer de nouvelles confusions. Un agent conversationnel est ce qui permet de faire croire à un gugusse que l’ordinateur cause avec lui mais l’agent peut-être con comme une bite (je m’amuse beaucoup avec celui de la SNCF).

En juin, à l’occasion d’un séminaire d’entreprise, nous avons eu une petite conférence nous présentant l’intelligence artificielle générative. C’était vachement compliqué et je n’ai pas tout compris, rassurez-vous. Certains de mes collègues ont fait semblant (mais j’ai compris aux questions qu’ils posaient à la fin qu’ils étaient à moitié barrés). C’est compliqué notamment parce qu’il faut ingurgiter un tas de notions comme le « deep learning ».

 


Je vais me lancer dans une explication pour les nuls. Vous prenez un ordinateur avec du logiciel et vous apprenez à ce dernier la structure de la langue, avec ses variantes (et ses fautes de langage…). Vous lui donner à manger des milliards de texte : des encyclopédies, des articles de presse, des romans et même des billets de blog. Il va analyser tout cela et finir par faire le rapprochement entre les mots ou les phrases.

C’est ainsi qu’il va comprendre que quand un gros dit « on est dimanche midi », il va comprendre « c’est l’heure de l’apéro ». Et comme il n’est pas con, il va se dire « cet abruti, il fait l’andouille sur un ordinateur mais il va être en retard au bistro et les copains vont commencer à boire sans lui. » La phase suivante étant : « ils vont être plus bourrés que lui il va se faire chier ».

Au fond, vous n’avez pas besoin d’en savoir plus (pour ma part, si je trouve une formation vraiment « vulgarisante », j’y fonce. De toute la littérature qu’il aura ingurgitée il aura pu faire le rapprochement entre le dimanche midi et le fait que les gens saouls sont pénibles et en tirer tout un tas de conclusions que je pourrais multiplier pour rigoler mais nous sommes dans un blog sérieux.

 


Vous aurez compris que, outre la nécessité de comprendre syntaxiquement, ce qu’on lui bavasse, la machine aura à connaître des milliards d’information pour pouvoir en tirer quelque chose d’utile. En gros, les gens de ChatGPT, ils ont aspiré tout le web et ont donné cela à bouffer à leurs ordinateurs. Il faut donc une capacité informatique incroyable, notamment au niveau de la mémoire et du stockage.

C’est aussi une des raisons, d’ailleurs, pour laquelle l’IA, notamment celle « générative », à la mode maintenant, ne peut connaître un essor que depuis peu.

Pour l’anecdote, c’est aussi pour ça que quand vous demandiez à ChatGPT qui est le président des Etats-Unis, il répondait « Trump », c’est parce qu’il avait bien fallu arrêter, à un moment, « d’aspirer le web » pour que le truc puisse commencer à analyser.

 


Il y a d’autres raisons au retard de l’IA. Par exemple, il est assez impossible de croire à l’avenir de quelque chose auquel on ne croit pas. En plus, c’est anxiogène. Mon blog est politique et je comprends très bien qu’une personnalité politique ne puisse pas dire à un salarié qu’il risque fort de perdre son job à cause de ces âneries.

Prenez mes zozos du départ. Je me cite : « une entreprise de « veille médiatique » a décidé de remplacer « Remplacer plus de 200 emplois par une intelligence artificielle ». » (aussi bien, c’est du pipeau, d’ailleurs, et les emplois sont délocalisés en Chine). Les salariés étaient payés pour éplucher la presse et présenter des « revues » en fonction de thèmes, de mots clés… voire de rédiger des résumés, présentations globales de l’état de l’art, avec des enjeux, des perspectives…

Une intelligence artificielle sera capable de traiter un sujet en moins de temps qu’il me faut pour aller jusqu’au frigo pour chercher une bière et sortir tout ce que l’utilisateur final aura besoin pour son propre job.

Qui finira d’ailleurs par disparaitre à cause de l’IA.

 

Le politicien ne peut pas en parler. Evidemment. En plus, il n’y comprend rien. Vous prenez la réforme des retraites. On peut concevoir qu’il y a besoin de financement mais il faudrait aussi, en prenant des mesures à long terme, s’imaginer que l’IA, comme la robotique, fera disparaitre des métiers.

C’est con. Mais, au moins, l'intelligence artificielle créera des emplois. Le chat de la SNCF est peut-être con mais la première ministresse a raison de nous faire sauter dans le train, même s'il est en retard.

17 commentaires:

  1. Kubrick n'a pas eu besoin de penser à la fort mal nommée “intelligence artificielle” vu que, pour 2001, il s'est contenté d'adapter un bouquin préexistant.

    Pour le fond du billet, il y aurait bien des choses à dire... mais j'ai la flemme.

    DG

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    1. Oui mais le film est ce qui a popularisé ce truc. Et j’ai lu le livre (après avoir vu le film).

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    2. Moi pareil, dans le même ordre. Et j'ai trouvé le roman bien médiocre...

      DG

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    3. Moi aussi, je crois (c’est vieux). J’avais bien aimé le film mais j’ai été très déçu par une rediffusion il y a une dizaine d’années.

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    4. Pour le film, la première partie (les singes) est assez niaise, la seconde partie (les deux crétins et leur ordi rebelle) est plutôt ennuyeuse, et la troisième partie est aussi prétentieuse qu'imbitable.

      À part ça, j'avais beaucoup aimé le film à vingt ans...

      DG

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    5. Même combat, en gros.

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    6. "(Kubrick) s'est contenté d'adapter un bouquin préexistant."

      Pas vraiment. Le livre "2001" a été écrit pendant que Kubrick faisait son film de son coté. Comme le film, il est le fruit des échanges de Kubrick et Clarke.
      Si une nouvelle de Clarke a lointainement inspiré le film, il s'agit de "la sentinelle", un récit court dans lequel des astronautes trouvent une structure extraterrestre sur le lune et s'interrogent sur les motivations de ses bâtisseurs.

      Sinon, l'intelligence artificielle, on en parle déjà dans le cycle des "robots" d'Asimov à partir des années 40.

      Gadebois

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    7. On en parle depuis des années mais je voulais prendre pour exemple un truc vraiment connu.

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  2. Intéressant mais j’ai pas tout compris. Et que dit Siri ? Moi

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  3. Bonne idée de démythifier cette "intelligence artificielle", et de réduire ainsi son action anxiogène.
    En revanche il y a un réel danger avec les différentes utilisations que les"escrocs" ne manqueront pas de mettre en oeuvre (utiliser une vidéo dans laquelle "on" fait dire ce que l'on veut à une personne ... etc

    Helene

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    1. Tiens ! Un commentaire en rapport avec le billet...

      Pour le danger, oui, bien sûr ! Par contre, je ne sais pas si l'exemple que tu cites (et tu n'es pas la seule, j'ai encore vu des trucs tordants dans Twitter) est bien lié à l'IA...

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    2. Je crois que l'imitation presque parfaite des voix dépend de l'IA, pour le montage correspondant aux mouvement des lèvres j'en suis beaucoup moins sûre.

      Helene

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    3. Je vais reprendre ce que j'ai dit car je doute pas un instant que tu sois de bonne foi. Je pense que ce sont les mecs qui sortent ces trucs qui disent que c'est de l'IA alors que ça n'en est pas. Le grand public ne peut pas savoir.

      Comme je l'ai dit dans le billet, j'ai eu très longtemps des doutes. Je fais du développement informatique (du moins, j'en ai fait et beaucoup) : je vois très bien comment on peut faire des vraies voix et des mouvements de lèvre. Donc j'ai un doute. Par contre, je n'ai jamais compris comment pouvait marcher ChatGPT avec de l'informatique traditionnelle. En le voyant, j'ai bien compris que c'était "exceptionnel" et c'est quand j'ai eu ma conférence sur l'IA que j'ai compris les grands principes, ceux que je vulgarise ici en parlant de l'apéro du dimanche.

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    4. Oui, c'est vrai, le côté exceptionnel de chatgpt n'existe pas pour le clonage de voix.
      Bon aprèm
      Helene

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