En salle

11 juin 2022

La fracture numérique


 

Il y a huit jours, j’ai perdu mon passe Navigo. Un peu plus tard, je me suis connecté sur le site de « Ile de France Mobilités » pour savoir quoi faire… J’ai vu qu’on pouvait créer un compte. J’ai cliqué. Avant-hier, je me suis reconnecté un peu par hasard et j’ai vu que mon passe était associé à mon compte et j’ai pu très rapidement « faire opposition » et en commander un neuf. J’ai bénéficié de tous les travaux d’amélioration de l’informatique – on appelle ça la transformation numérique – de l’ancienne STIF.

Pourquoi je vous raconte ça, moi ? Parce que la campagne des législatives est close, évidemment, mais aussi parce que je suis fatigué de voir n’importe quoi à propos du numérique. Par exemple, un pote se foutait de la gueule, dans Facebook, d’un économiste (si…) qui a dit « Aujourd’hui, on a des jeunes qui sont tous geeks. Ils ont une capacité à gérer des outils numériques face à des enseignants qui n’ont pas le même niveau (…) Pourquoi ne pas profiter des vacances pour faire une formation ? »

Tout d’abord, les vacances ne sont pas là pour faire des formations et je ne vois pas en quoi faire une formation aurait facilité la déclaration de la perte de mon passe Navigo ! Vous ne voudriez pas que chaque Français ait une formation à l’utilisation du site de IDF Mobilités, non plus ?

Ensuite, les jeunes ne « gèrent » pas d’outils numériques mais ont une certaine facilité à utiliser des outils « high tech ». Mais si un jeune crétin perd son titre de transport, il n’ira pas regarder sur internet pour tenter de réparer ça, il ira pleurer dans les jupes de sa mère qui l’amènera au guichet du métro… Enfin, les enseignants ont sans doute un bien meilleur niveau dans l’utilisation réelle des outils informatiques vu qu’ils sont obligé de le faire dans un cadre professionnel…

Certes, un gamin saura assez facilement changer un fond d’écran sur un smartphone… Par contre, taper sur Google « ah ben merde j’ai perdu mon Navigo que dois-je faire ? » il n’y pensera pas.

 

La fracture numérique est bien un problème, en France (et ailleurs, je suppose) mais, malheureusement, ceux qui en parlent, comme cet économiste, en sont eux-mêmes les principales victimes. Alors c’est quoi, cette fracture numérique ? Le digne héritier de la fracture social de Jacques Chirac ? Non. Google lui-même nous dit : « De manière générale, la fracture numérique est le fossé entre ceux qui ont accès à l'Internet et ceux qui n'y ont pas accès. Or, la fracture numérique est multiforme et comprend de nombreuses facettes telles que l'accès, le caractère abordable, la qualité et la pertinence. » Mais Google a presque tort… Tout réside dans le « Or » mais on ne sait pas trop à quoi il fait allusion. A mon avis, la fracture numérique repose plus sur la capacité, pour certains, à utiliser les moyens informatiques pour différents usages.

 


Déjà, parler de l’accès à internet est réducteur. Chez moi, je n’ai pas l’ADSL, je me connecte via la 5G sur mon iPhone. Chez ma mère, j’ai une connexion ADSL très lente mais ça ne m’empêche pas de regarder Netflix ou les chaînes que je peux recevoir par Orange. On parle beaucoup, justement, de cette 5G (dont je profite) et du déploiement de la fibre dans les territoires mais, en l’occurrence, quand on parle de la fracture numérique, c’est un faux problème. Par contre, certains secteurs, en campagne, n’ont pas la 4G et ont une connexion filaire vraiment très lente, là c’est vraiment pénalisant.

La plupart des gens ont accès à internet même s’ils ne le savent pas. Par exemple, maintenant, pour avoir la télé, on passe souvent par une box. Ca n’oblige pas à avoir un PC. A contrario, il y a dix-huit mois, je n’avais pas Netflix et j’étais passé à côté de la simple possibilité de regarder des émissions à la demande, ce qui m’occupe plus, maintenant, que de faire le con dans Google. J’étais une sorte de victime collatérale de la fracture numérique mais il y a plus grave. Ils ont d’autant plus accès à Internet que, pour la plupart, ils ont des smartphones et utilisent des applications sans même savoir que ça passe par Internet.

A contrario, je connais des gens qui ont accès à internet avec un ordinateur mais qui utilisent le tout très mal car ils n’ont pas les « bons réflexes » (c’est plus qu’une question de formation : si on ne sait pas quand il faut faire un clic simple ou un double clic, on est baisés…). Je vais prendre un seul exemple pour un seul sujet : ma mère a un PC et un abonnement internet depuis au moins vingt ans mais c’est toujours moi qui déclare ses impôts car il y a certaines choses qu’elle n’ose pas faire, ne se sent pas capable ou autre…

 

A parti de dorénavant et jusqu’à ultérieurement, tu peux maintenant proposer toi-même une définition de la fracture numérique, par exemple dans les commentaires de ce prestigieux billet de blog mais tu auras bien compris que c’est plus lié à la capacité d’usage qu’aux moyens. Avec une connexion internet merdique, j’ai pu gérer la perte de mon passe Navigo sans devoir aller dans le métro et emmerder une préposée…

Oui, entre geeks, on se tutoie.

Cette confusion est grave puisqu’elle amène nos politiciens et autres hauts-fonctionnaire à prendre des mauvaises décisions, souvent onéreuses, comme la couverture d’un territoire par la fibre alors que nos bons vieux fils de téléphones sont assez costauds pour faire passer la télévision à la demande. Par contre, les lascars qui ont fait le site pour déclarer les impôts de ma mère n’ont pas pensé qu’elle employait une femme de ménage et des jardiniers (pas à plein temps, hein !) depuis des dizaines d’années : il est impossible pour une personne âgée de les déclarés simplement sur ce site qui ne pense même pas à proposer par défaut les « postes » qui étaient utilisés les années précédentes.

 


Avant de poursuivre sur la fracture numérique, il faut évoquer la transformation numérique qu’on tentera, d’ailleurs, de ne pas confondre avec le progrès technologique. Netflix (ou Amazon Prime ou ce que vous voudrez) est une belle innovation technologique mais ça n’est pas vraiment de la transformation vu que le service n’existait pas avant. Mon histoire de passe Navigo est plus proche de la transformation numérique : la démarche qui aurait nécessité un déplacement au guichet a pu se faire entièrement par internet.

Les travaux informatiques qui ont abouti à cela sont colossaux : je n’avais pas de compte chez IDF Mobilités et ils ont réussi à associer à un nouveau compte mon vieux passe, acquis à la fin des années 1990. Ca parait dérisoire pour l’utilisateur, à un point de vue informatique, pour un résultat sans intérêt majeur à part d’éviter de passer au guichet quelques fois dans sa vie. En fait, l’intérêt est surtout pour iDF Mobilité qui n’est plus obligé de donner des sous à la RATP pour avoir du personnel pour gérer ces désagréments au guichet. J’imagine que les gains sont colossaux.

C’est pareil pour les impôts (sur le revenu) : ça fait des dizaines d’années que l’on peut déclarer par Internet, maintenant. Au début, on trouvait cela vachement pratique, il y avait des incitations et tout ça mais, en fait, le principal gain est pour le trésor public qui n’est plus obligé d’embaucher des zozos pour faire de la saisie informatique. Le prélèvement à la source, qui est une autre étape, a plus d’impact sur les usagers…

Ainsi, la transformation numérique est surtout une transformation des procédures souvent auparavant manuelle et permet de grosses économies aux entreprises ou administrations qui la pratiquent. Elles auraient tort de se priver. Elles ont donc entrepris, progressivement, des mutations très importantes à marche forcée. On est sans doute, peut-être, à la fin d’un cycle mais les progrès restent à faire.

On parle beaucoup, par exemple, des temps d’attente dans les mairies pour les renouvellements de cartes d’identité et de passeport. Mais, pour résumer, il ne s’agit que de filer une copie de l’acte de naissance et des copies de justificatifs de domicile, obtenus auprès de grandes entreprises. Cela étant, les mairies savent aussi où tu habites car elles ont les données relatives aux taxes d’habitations, aux cartes d’électeurs et un tas de bazar. On imagine que si l’informatique suivait, les renouvellements seraient une formalité.

Je vais citer un dernier exemple : les fameux compteurs Linkie. C’est de la transformation numérique. Des agents n’ont plus à se déplacer pour relever des compteurs. Grosses économies pour les firmes ! En plus, EDF (ou assimilés) te refile directement un compte sur un site dès qu’ils ont récupéré ton adresse mail et tu peux tout gérer à distance, y compris les justificatifs de domicile dont je parlais.

 

Le problème de la transformation numérique est que les salariés (mais ce n’est pas notre problème) et le public doivent suivre et c’est là qu’apparaissent les difficultés liées à la fracture numérique à cause (ou « pour ») les gens qui ne peuvent pas tout faire par mail pour différentes raisons : ils n’ont pas le matériel, ils ne savent pas faire, ils se mélangent les pinceaux dans les mots de passe (c’est tout moi…) ou que sais-je ?

L’autre jour, à la Montparnasse, il fallait que je change mon billet de train mais ce n’était pas si simple (pas les mêmes lignes pour aller à la même destination). Je n’avais pas réussi à le faire avec la borne ou avec l’application sur l’iPhone. J’ai essayé de trouver un agent de la SNCF pour m’aider, au guichet, mais il y avait une heure d’attente (ce que j’ai constaté après…). Le lascar était aussi gêné que moi, ne connaissant pas les outils mais peu importe. La transformation numérique est ainsi faite que les utilisateurs sont souvent laissés sur le côté !

Je parlais de la SNCF mais tout le monde à eu vent des déboires quand ils ont changé l’application, récemment. On se retrouve avec des erreurs de conception (comme les types de l’informatique des impôts qui n’ont pas mis en œuvre des trucs facile pour déclarer le personnel domestique de ma mère) tout à fait compréhensible (je bosse moi-même dans l’informatique, je vois bien mes propres conneries et celles de mes collègues).

 


Malheureusement, nos têtes pensantes n’ont pas pensé à accompagner la transformation. Par exemple, ils ont rapidement diminué le personnel d’accueil du public, dans les gares, parce que tout le monde peut acheter des billets par internet ou sur une borne mais, il n’y a pas que ça, dans la vie !

Et quand je dis « tout le monde », c’est une façon de parler !

Récemment, je voulais acheter un billet de train mais j’ai un problème avec le paiement par internet avec ma carte (la fracture numérique se cache dans les détails)… Je suis donc allé dans une agence de voyage pour pouvoir payer avec un TPE. L’aimable commerçante m’a expliqué qu’elle ne pouvait plus vendre de billets de train.

C'est bien la transformation numérique qui a généré la fracture numérique car elle n'a pas du tout été pensée en fonction de la capacité du public à utiliser les outils. Elle a généré tellement d'économie dans les boites et autres administrations que toutes les solutions qui existaient avant ont rapidement été supprimées. A la limite, la fracture numérique ne serait pas un problème si les usagers pouvaient se passer des outils... C'est con à dire mais c'est la bête vérité et nos têtes pensantes ont échoué.

 

Nos élites font fausse route, à l’instar du lascar dont je parlais qui pense qu’un gamin utilise mieux les outils qu’un adulte et que la formation est salvatrice.

On est mal barrés…

 

4 commentaires:

  1. Depuis début janvier, les déclarations douanières ne se font plus sur papier mais informatiquement . Je voulais envoyer un colis au Canada et donc, je fais ma déclaration numérique . Sauf que le programme et moi n'avions pas la même notion de ce qu'est le poids d'un paquet de petits gâteaux . Pas moyen d'enregistrer ma déclaration . Du coup, je vais à la poste et leur bécane, elle, ne fait aucune difficulté pour enregistrer le poids que j'indiquais . Hossanna, mon colis est parti ( et arrivé ) sans problème .
    Conclusion, je me suis déplacé de vingt bornes aller-retour parce que le programme mis à la disposition des particuliers diffère de celui de la Poste .
    Ceci pour abonder dans le sens du présent billet .
    A. b

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    1. Pour résumer, tu as été obligée d'aller à la poste pour envoyer un colis alors que tu pensais le faire passer par le fil du téléphone ?

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  2. La fracture numérique c'est quand au fond de la Creuse on a pas accès à YouPorn...

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