En salle

10 juin 2022

La tribune de dupes des économistes de Nupes

 


Je ne sais pas si l’économie est vraiment une science comme les autres. Par exemple, les mathématiques ne reposent sur une aucune dose d’idéologie contrairement à notre brave économie qui, en outre, a surtout comme support l’observation du passé. En outre, il n’est pas compliqué de déduire que les investissements publics dopent l’économie mais on sait difficilement à quel moment on va se prendre le retour de bâton. Enfin, s’il me fallait des signatures pour une tribune d’économistes pour défendre un programme de gauche, j’écrirais à 200 professeurs d’économie travaillant dans le secteur public : de toute manière, ils sont de gauche. Y trouver 170 signataires est assez facile. C’est sans doute ce qu’on fait les lascars à l’origine de celle parue hier dans le JDD. C’est encore plus facile de faire un tweet pour indiquer que 172 économistes ont signé ce machin. De toute manière, seuls des nupéssiens et des andouilles comme moi vont lire ce truc.

Le projet de Nupes étant de gauche, la plupart des mesures vont être approuvées par les gens de gauche mais le diable se cache dans les détails.

« Les investissements concernant la reconstruction des services publics et la transition écologique nécessitent des financements. L’option choisie est d’abord celle de la justice sociale au service de l’efficacité. Une fiscalité plus progressive sur les revenus et les patrimoines, le rétablissement de l’ISF et la suppression de la flat tax ainsi que la lutte contre la fraude permettront de dégager des ressources supplémentaires importantes et de limiter le recours à l’endettement. » Vous pouvez relire mon blog : je suis pour tout cela (je ne suis pas un grand fan de l’ISF mais je défends souvent les autres machins). Par contre, je ne vois pas pourquoi la lutte contre la fraude fonctionnerait plus qu’avec d’autres gouvernement.

Nous avons donc là une grosse supercherie : la seule conclusion possible est que le programme n’est pas financé et que, si la lutte contre la fraude ne fonctionne pas, on va droit dans le mur.

Ensuite : « Si l’effort prévu est substantiel pour les plus favorisés, en particulier pour les riches héritiers, les impôts seront constants ou en baisse pour 90 % de la population. » La stigmatisation d’une partie de la population est évidente et elle n’est pas délirante : les héritiers ne méritent pas leur fortune et les taxer plus n’est moralement pas condamnable de même que la taxation des « geonpis » au début du quinquennat d’Hollande.

On sait où ça a mené.

 

Toute la tribune doit dont être étudiée. Cela commence très fort : « Pour la première fois au XXIè siècle, la gauche en France est rassemblée pour mettre en œuvre une rupture avec le néolibéralisme. » Il faut bien une introduction à un texte. Regardez celle de mon billet où je fais semblant de conchier les économistes… Seulement, là, il y a une série de mensonge. Ce n’est pas la première fois, bien évidemment mais ne refaisons pas l’histoire. Il se trouve, quand même, que la gauche n’est pas rassemblée. Nous avons une espèce de conglomérat qui rassemble un peu moins de 30% de la population (29% exactement en moyenne des sondages depuis la présidentielle mais 26,4 pour ceux de juin : la dynamique est en baisse malgré l’activité frénétique). C’est mal, de mentir. La vérité est que la gauche rassemblée devrait être à plus de 40 points et que nous avons là, la plus faible proportion d’électeurs se déclarant à gauche depuis le début de la Cinquième (à part 2017).

La phrase se termine par la dénonciation du néolibéralisme, ce qui fait toujours bien dans un texte de gauche mais c’est surtout un terme péjoratif, utilisé depuis 1844 et qui n’a donc rien de « néo » et correspondant globalement à une politique avec un désengagement de l’Etat ce qui est à plier de rire en parlant de la France qui est celui des grands pays de l’UE avec le plus fort taux de prélèvements obligatoires (en hausse à peu près constante entre 2008 et 2018, j’omets volontairement la période suivante : la crise sanitaire a faussé la donne).

L’introduction de ce texte est ainsi de pure rhétorique. C’est con. Sans compter la dose de mensonges dont je parlais : le gouvernement propose des aides ciblées pour les plus nécessiteux, ce qui n’est pas franchement libéral alors que Nupes propose des mesures telles que le gel des tarifs qui vont s’appliquer également aux plus riches sans impact sur les inégalités…

 

L’introduction continue (je ne vais pas tout détailler) et on entre dans le vif du sujet : « En tant qu’économistes nous savons que ce programme est ambitieux. » Voila la traduction par jegoogle translator : « bon, ça va les gars, on sait bien que programme n’est pas réalisable faites pas chier pour autant ».

Il y a bien sûr quelques vérités : « Face à la précarité endémique, à la guerre et à la transition écologique, prétendre qu’il n’y a pas d’alternative aux politiques économiques actuelles est mensonger et dangereux. » Translator : « il n’y a pas d’alternative, en fait, à ce que propose Nupes. » Pouf pouf.

 


« Balloté par les événements, le pouvoir macronien navigue à vue. Il y a certes un regain d’interventionnisme, à l’image du « quoi qu’il en coûte » et, dans le discours, avec la récupération du terme de planification écologique. » Cépafo mais qu’auraient fait nos économistes s’ils avaient eu à faire face à une crise sanitaire ou à une guerre à nos portes ? Tout gouvernement peut être confronté à des différents événements. En introduction, je chiais sur les économistes mais l’économie ne peut en aucun cas être quelque chose assurant des prévisions fiables…

« Mais la doctrine reste la politique de l’offre : le marché est le seul opérateur pour organiser les échanges, ce qui donne aux entreprises et aux détenteurs de capitaux le plein pouvoir de définir notre mode de développement. » Je rigole toujours quand je vois des types promouvant la réindustrialisation fustiger la politique de l’offre. Il est de bon ton de prétendre que les détenteurs de capitaux ont le plein pouvoir patati patata mais je ne vais pas refaire un couplet sur notre taux de prélèvement obligatoire. Ah si, tiens ! On est en gros à 50%. Ca veut dire que la moitié de la richesse produite est préempté par la collectivité pour être redistribuée (ce n’est pas une critique de ma part, d’autant que cela inclut les retraites).

 

Dans ce texte, tout est fait pour émouvoir. On se demande, par exemple, ce qu’a fait la France pour le climat. Rien, bien sûr à part la COP qui a abouti à des textes différents, dont des directives récentes au niveau de l’UE pour diminuer l’émission de gaz à effets de serre.  Alors que la vérité est que Nupes propose de ne plus suivre les décisions européennes. C’est fort.

A un moment, on parle de l’évolution de la mortalité infantile. Il est vrai qu’elle a très légèrement augmenté depuis une dizaine d’années mais une recherche google montre que les scientifiques en sont encore à chercher la cause. Aussi bien, c’est uniquement un phénomène statistique (que sont 30 morts par rapport à 750 000 naissances, à part bien sûr les drames pour les familles ?). La vérité est que la mortalité infantile a été divisée par cinquante (ben oui, de 150 à 3…) depuis le début du siècle précédent et que cette baisse s’est faite dans un affreux monde libéral où il est interdit de donner les enfants à manger aux cochons.

Pourquoi les économistes parlent de la mortalité infantile et du climat ? J’ai un élément de réponse : ils ne savent pas de quoi parler…

 

Vous pouvez – ou devez – lire la suite mais essayez donc d’avoir le recul nécessaire. Par exemple, vous pourrez rigoler au moment où ils parlent de la dette et expliquent que la conjoncture va bien pour l’augmenter.

D’ailleurs, ils ne parlent pas des évolutions de la conjoncture tout comme ils oublient deux éléments qui me semblent importants. Le premier est que « la finance » risque bien de nous couper les crédits ou de nous pousser à rendre le déficit extérieur abyssal. Le deuxième est qu’on ne poussera pas les investissements en France en dissuadant ceux qui ont le pognon, d’une part en empêchant le nucléaire donc l’assurance d’une production d’énergie suffisante pour assurer le fonctionnement des usines (je parle de l’assurance, vous pouvez penser que le renouvelable permettra tout, ça ne convaincra pas les financiers) et, d’autre part, bien entendu, en augmentant les impôts de ceux qui peuvent dépenser de l’oseille pour faire tourner nos boutiques…

C’est mal de conchier la politique de l’offre à l’heure de la mondialisation. Il faut enlever ses œillères mais les économistes sont pris dans un système et une formation qu’ils ont eux-mêmes eu il y a vingt ou trente ans par des profs déjà dépassés. D’où mon conchiage introductif.

 


Ils auraient pu nous rassurer pour cela mais aussi apporter quelques éclaircissements sur trois ou quatre dossiers.

Petit 1 : l’augmentation des salaires. Je ne doute évidemment pas que cela soit nécessaire tant pour faire en sorte que les gens vivent mieux et cotisent plus mais aussi pour qu’ils puissent dépenser plus dans l’économie. Néanmoins, tous les gouvernements ont toujours échoué et ont été réduits à créer des usines à gaz comme la prime pour l’emploi. Comment peut faire un gouvernement Nupes alors que l’Etat n’a du pouvoir que sur le niveau du SMIC ?

Petit 2 : l’augmentation du SMIC. La encore, je ne suis pas contre. Mais ne faudrait-il pas en étudier les conséquences. Il y a d’une part l’impact pour les petits salaires supérieurs au SMIC qui vont s’en rapprocher. Les braves gens ne vont pas être contents et le niveau de smicardisation de la société va augmenter. D’un autre côté, c’est égalitariste (et je ne gueule qu’à la marge : « pousser l’égalité vers le haut » n’est pas dramatique, évidemment. D’autre part, quel sera l’impact pour les employeurs ? Et ne me sortez pas les propos du patron du Medef qui vient de déclarer, à peu près : « ben on va être obliger d’augmenter les salaires, vu qu’on ne peut pas embaucher ». N’y aura-t-il pas une hausse des tarifs des biens produits ou vendus pour payer les augmentations ? N’y aura-t-il pas une diminution des marges qui pourrait pousser les investisseurs à aller voir ailleurs ou à changer de modèle économique ? N’y aura-t-il pas une hausse de l’inflation assez mal venue de nos jours du fait de l’augmentation de la capacité à dépenser des plus démunis et de la nécessité de maintenir les marges ?

Petit 3 : l’augmentation « des minima », la prime pour les jeunes et tout ça. Ne serait-il pas de temps de passer à autre chose, comme le revenu universel ? Pourquoi cotiser toute une vie si, au bout du compte, on touche un revenu supérieur à 1000 euros ? Alternative au RU, ne pourrait-on pas imaginer que l’on puisse aider les gens autrement qu’en leur versant du pognon qu’ils n’ont pas spécialement mérité ? Je n’ai pas dit qu’ils n’en ont pas besoin, hein ! Je suis bien favorable à quelque chose mais les mille balles promis aux jeunes ne seraient-ils pas mieux placés dans la construction de foyers d’accueil des jeunes, par exemple ? Et le pognon filé aux vieux pour payer la dépendance, les hébergements, les soins à domicile, la livraison de repas ou que sais-je ? Mes questions concernent bien les économistes et les conséquences diverses : les politiques font évidemment ce qu’ils veulent.

Petit 4 : le blocage des prix. Pourrait-on, enfin, s’interroger sur les conséquences et les possibilités. Pour ce qui concerne ces dernières, on sait par exemple que les prix dépendent des marchés internationaux. Si les prix à l’extérieur des frontières augmentent, nos producteurs seraient perdant à vendre chez nous… Si on ne les y oblige pas, ils seraient tentés par vendre à l’étranger (ou, du moins, sur les marchés). Quels sont les impacts sur les intermédiaires, par exemple, comment tout cela va se goupiller ? Une partie des prix, notamment pour le carburant, serait à bloquer au niveau de la taxation. Ce qui nous intéresse est bien le prix à la pompe. Il n’est pas idiot de faire participer les industriels qui se gavent à l’effort mais cela réduira les recettes fiscales largement et les Français ne sont pas fous : ils savent qu’une partie de leurs factures de carburant passe dans les poches de l’Etat. Pourrait-on nous détailler tout ça ?

 


Les économistes ont beau jeu de poser des mots les uns après les autres mais il faut bien reconnaissent qu’ils ne font que de la politique et n’apportent strictement rien. La tribune aurait été intéressante si quelques sujets avaient été poussés (brièvement, il ne s’agit pas de faire un cour d’économie), beaucoup plus que d’aligner des banalités gauchisantes (et pas toutes fausses, loin s’en faut). Je ne dis pas qu’ils auraient dû le faire (qui aurait lu ?) mais la tribune d’hier ne sert qu’à ajouter un élément au bruit fait par Nupes (que ne dément pas Mélenchon) qui continuent à avoir une large avance en termes de temps de parole même si les militants essaient de nous convaincre du contraire.

Au boulot, bordel, et un peu de sérieux !


Je rappelle par ailleurs que les éléments économiques ne sont pas ceux qui pousse une grande partie de la gauche (mathématiquement au moins un bon tiers) à rejeter Nupes. Il y a le communautarisme et le non respect de la République, le rejet des règles européennes et le tournage de dos à des années de politiques de gauche sans oublier quelques bricoles comme le reste des aspects internationaux, le refus d'une politique environnementale contreproductive et celui du nucléaire alors que nous n'avons aucun remplaçant "non carboné" fiable (vive la Finlande, tiens !).

9 commentaires:

  1. Sans compter ceux qui ne pensent pas que" la police tue"... ce qui fera pas mal de monde à l'arrivée. la nupes est une escroquerie intellectuelle au service du pitre mélenchon. le 19 au soir, elle n'existera plus.

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  2. Les insoumis n'ont toujours pas compris la différence entre fraude fiscale et optimisation fiscale. C'est usant...
    S'ils veulent que la France teste à nouveau le système soviétique des kolkhozes et des sovkhozes, qu'ils le disent tout de suite, les Français comprendront mieux pour qui il ne vaut mieux pas voter.

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    1. Ca fait au moins deux raccourcis dans ton commentaire.

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    2. Pas compris... La lutte contre la fraude n'empêchera jamais l'optimisation. Si c'est un raccourci, je le prend pour moi. Et le second ?

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    3. On part d'une tribune d'économistes : ils connaissent parfaitement la différence entre l'optimisation et la fraude et, sans doute, les insoumis aussi. Par contre, ils oublient peut être qu'il y a des choses légales et d'autres pas et ce n'est pas simple (je travaille dans une banque et, même à l'informatique, on a des formations pour la détection de l'utilisation frauduleuse du pognon).

      Le coup des kolkhozes et sovkhozes est un autre raccourci. Le problème est tout autre et historique dans la gauche : ils ne veulent pas admettre qu'on est dans une économie de marché (ils ne refusent pas le principe mais ne comprennent pas. Par exemple, si tu vends une voiture d'occasion, ce que la plupart des gens font à l'occasion, tu espères une plus-value : c'est de la spéculation et de l'économie de marché). C'est une question de sémantique.

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    4. Je parlais dans mon commentaire des insoumis de base, qui font des amalgames sur différents sujets économiques. Pour le reste on est complètement d'accord.

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  3. Le truc c'est surtout qu'on a passé les 35 dernières années (à gauche comme à droite), priver l'Etat de tout ses moyens d'intervenir sur l'économie (ce qui ne se résume pas uniquement à la redistribution, mais aussi à la planification stratégique, le contrôle de la monnaie, etc) et qu'aujourd'hui, dans une économie mondialisée telle que nous la connaissons, il est trop tard pour faire machine arrière. Le gros mensonge de la NUPES c'est de faire croire le contraire. Keynes c'est bien beau, mais ça a une chance de fonctionner dans une économie fermée.

    Entre le rasage gratis promis par la Méluche et les saupoudrages piteux de macrons, on sait bien qu'on est fait aux pattes.

    Et pas la peine de de prendre le chou sur la définition exacte du Néo-libéralisme et de l'ultra-libéralisme (oui, la France est le pays qui prélève et redistribue le plus, mais c'est aussi un pays où les services publics sont bousillés depuis 35 ans, et pas uniquement pas la droite). Ce qui nous pend au nez, malheureusement, c'est le modèle de Friedman et ses Chicago boys.

    Gadebois

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    1. Pourquoi 35 ans ? Ca fait pas loin de 50...

      Je ne sais pas ce qui nous pend au nez mais il ne faut pas oublier tout ce qui a bien fonctionné avec cette politique et ce qui n'est pas lié à la politique.

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