16 septembre 2010

Camille

Il y a un des seconds rôles de mon blog bistro (en lien dans toutes les bonnes blogrolls) sur lequel je ne me suis jamais attardé. C’est le moment de me lancer, il devrait être le personnage clé du prochain billet avec des anecdotes terribles d’ivrognes Kremlinois. C’est Camille.

Camille a 62 ans. Il est tout petit et maigrichon, du genre 1,6m pour 45 kg. Il boit mais ne braille pas au comptoir. Il n’a rien dans le ciboulot. Rarement vu ça, franchement. Comme il n’est pas méchant, il est attachant.

Camille est employé par une boucherie, dans Paris. Il est préposé aux poulets rôtis. Il les met dans la rôtissoire et les vend à des clients qui lui donnent un petit pourboire qui sera bu, le soir, entre différents bistros de Paris puis, à l’Amandine, au Kremlin-Bicêtre. Il arrive vers 20h40, boit des petits verres de Côtes-du-rhône. Allez savoir pourquoi, sa démarche est toujours moins assurée quand il part que quand il arrive.

Camille habite un hôtel de Bicêtre qui loue les chambres au mois. Autant vous dire que les fins de mois sont raides. Nous lui subventionnons souvent ses dernières cuites.

La description du personnage serait incomplète si je n’indiquais pas son principal défaut. Il pue. L’urine rance. C’est abominable. Une de mes premières pensées, quand j’arrive à l’Amandine, est de trouver une place au comptoir, à côté des gens que je vais voir, en étant certain qu’il n’y aura pas de place pour Camille à côté. Il n’est pas sale, ce sont ses fringues qui puent. Son espèce d’anorak qu’il a sur lui depuis que je le connais, été comme hivers, n’a probablement jamais été lavé. J’espère que je ne vais pas choquer les jeunes filles qui me lisent en racontant ça, mais c’est la raison principale qui fait que nous ne l’intégrons pas plus au groupe. Il en devient insupportable.

Camille est seul. Il a bien un frangin, dans un patelin, en Bourgogne, je crois, chez qui il va passer quelques jours tous les ans. C’est la seule occasion qu’il a de quitter le chemin qui le mène cinq ou six jours sur sept, selon les semaines, de Bicêtre à sa rôtisserie, avec un passage vers Leclerc, donc devant la Comète, tous les lundis, son jour de repos.

Ils sont terribles, ces lundis. Il débarque aux aurores au bistro, s’enfile des Côtes-du-rhône dans différents établissements, dépense une partie de sa paye au PMU et au Rapido. Jusqu’il y a environ un an, il mangeait à la Comète le lundi midi. Ils ont été obligés de le virer parce qu’il s’endormait systématiquement dans son assiette.

Il est très seul. Il fait partie de ces gens qui sont incapables de s’occuper. Pas de blog, pas de lecture, pas de promenade, pas de télé, …

En novembre, il sera à la retraite. Il ne peut plus travailler. Il est usé. Je pense qu’il a repoussé l’échéance au maximum mais il ne peut plus. Il a probablement passé au moins 45 ans de sa vie à vendre des poulets. Perdant son travail, ses revenus fixes vont diminuer et il va perdre ses pourboires. Je suppose qu’il n’arrivera pas à payer l’hôtel.

Je ne sais pas où il va loger. Je ne sais pas comment il va occuper ses journées. Je ne sais pas comment il va tenir. Je ne sais pas s’il passera 2011.

Lui non plus, d’ailleurs.

Et ça se voit.

43 commentaires:

  1. Bouleversant ! Mais qu'a la société d'autre à offrir à ces solitudes-là, que des petits bistrots ? (Tiens, tu te lances dans le portrait social, maintenant ?)

    RépondreSupprimer
  2. Oh!91,

    Je ne sais pas si on peut mettre ça sur le dos de la société en tant qu'entité bien définie. C'est la vie, quoi...

    Il y a plein d'activités à Bicêtre mais on ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux.

    RépondreSupprimer
  3. Je n'ai rien à dire d'intelligent, alors je vais juste laisser un commentaire pour dire que j'ai tout lu.

    Juste un truc : tu devrais les recueillir ces textes, je ne sais pas où, ni comment, mais seulement offrir la possibilité de les lire comme dans une sorte de Journal de la solitude. Voilà. Et bravo.

    RépondreSupprimer
  4. Il est touchant ce billet (je ne vais pas te faire de compliments sur ta manière de décrire les gens qui font notre société imparfaite...)

    Au départ, on se demande pourquoi ce billet n'est pas chez PNA et chez PMA, mais finalement c'est la vie de tous les jours que tu décris dans ce billet...

    Je connais un peu (beaucoup, via beau papa boucher charcutier) la vie des ouvriers dans la boucherie. Ca me touche d'autant plus, ton billet, j'en ai vu quelques uns des Camille...

    RépondreSupprimer
  5. Dorham,

    Merci.

    Je ne veux pas les recueillir, je n'écris pas pour ça (et tu le sais).

    FalconHill,

    Merci. Tu me connais, j'ai écrit ce texte "par hasard" parce que j'ai besoin de Camille sur PNA. Alors je l'ai foutu ici pour qu'il soit lu...

    RépondreSupprimer
  6. Ah la vie, quelle chienne parfois.

    RépondreSupprimer
  7. J'aime beaucoup ce billet. Un personnage intéressant. Plus du tout adapté au monde tel qu'il est.

    RépondreSupprimer
  8. C'est un joli texte. On croit voir le bonhomme. C'est honnête de dire qu'il pue et que vous n'avez pas envie de vous asseoir près de lui, et de vous émouvoir de sa solitude en même temps, et de lui payer une bière.

    RépondreSupprimer
  9. Gularu,

    Oui. Mais quand on ne peut rien faire, on ne peut rien faire... C'est LUI qui est incapable de s'occuper, jamais un service social ne pourra le faire.

    Fanette,

    Merci.

    Suzanne,

    Merci. Mais c'est du rouge qu'il boit, pas de la bière !

    RépondreSupprimer
  10. Triste histoire. Il y a beaucoup de gens seul comme ce Camille à Paris. Usé jusqu'à la corde, qui s'occupe dans les troquets et qui passe beaucoup de temps dans les fins de marché pour pouvoir manger.
    Et en plus ce pauvre Camille sert de lien pour PNA!

    RépondreSupprimer
  11. Nicolas,

    Je ne voulais pas forcément dire, recueillir dans un livre, je voyais davantage un blog moins quotidien, un peu comme le Journal de Didier,
    juste un moyen de les isoler. Je ne suis pas flatteur à ce point, le blog, c'est du blog, le Livre, euh, c'est du papier...

    C'est juste que dans la masse, c'est dur de les retrouver d'autant que tu publies ici, là, ailleurs, et puis ici et là encore et aussi...

    RépondreSupprimer
  12. @ Nico: n'oublie oas qu'il s'agit de la douleur. ..

    RépondreSupprimer
  13. Dorham,

    J'avais bien compris : je n'ai pas la prétention d'écrire un livre. J'ai déjà fait des tentatives pour isoler des billets. Tiens ! Vois ça mais ça ne dure jamais.

    Ce que je voulais dire par "je n'écris pas pour ça", c'est tout simplement ce que je répondais à FalconHill. Je vais détailler. J'avais besoin de décrire Camille pour un billet de PNA. Je ne pouvais pas le faire sur PNA, je comptais le mettre "au comptoir". Puis en le rédigeant, j'ai "décidé" (mes doigts décident seuls...) de faire un truc plus ou moins "misérabiliste". Quand j'ai vu le résultat, j'ai dit "hop ! En une de PMA !".

    Mais j'écris dans l'instant par pour "recueillir".

    RépondreSupprimer
  14. Geargies,

    Je ne comprends pas ton com. Je pense que ma dernière phrase "et ça se voit" exprime assez la douleur, non ?

    RépondreSupprimer
  15. très beau billet ! on le voit Camille on le sent presque ! enfin presque heureusement !
    non je rigole pour essayer de faire passer la tristesse,

    RépondreSupprimer
  16. Scourti,

    Merci ! Faut pas être triste. C'est un personnage virtuel, dans le blog. (pas dans la vraie vie, le pauvre).

    RépondreSupprimer
  17. Hop, un commentaire parti sans laisser d'adresse. Merci blogger !
    :-))

    Je disais juste : rien à ajouter, très beau billet !
    :-)

    [Peut-être que l'hôtel n'a pas de machine à laver et que la laverie, ça lui coûterait trop de verres de rouge ne moins ! :-| ].

    RépondreSupprimer
  18. Oui ... Beau billet. Je ne l'ai pas lu en diagonale.
    J'espère qu'il n'a pas d'enfant.

    RépondreSupprimer
  19. Beau Billet !
    J'ai connu "un Camille" mais pas au bistrot, après le(s) bistrot(s), le soir vers 22h30 quand il rentrait! Le lendemain, il partait vers 6h du mat, et 365 jours par ans (pas de frère...)! Il était cuistot dans une brasserie restaurant : c'était mon voisin, et il n'a pas tenu jusqu'à 62 ans...

    RépondreSupprimer
  20. Que dire, sinon que ce billet serre la gorge? Et puis s'en aller doucement.

    RépondreSupprimer
  21. très beau billet d'une grande sensibilité. Je conseillerai volontiers ce billet aux éternels râleurs sans scrupules.

    Camille est un chic type probablement mais la misère des hasards de la vie fait qu'il n'a pas eu la chance d'avoir une meilleure vie.

    Merci Nicolas pour ce bilet

    RépondreSupprimer
  22. Mais, avez-vous finis ? Il va avoir les chevilles qui vont enfler ???
    Celà-dit, bôbiyet !!

    RépondreSupprimer
  23. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  24. On a tous un Camille dans nos vies même s'il n'a pas 62 et qu'il ne pue pas la pisse...

    RépondreSupprimer
  25. C'est bon pour le moral ... c'est bon pour le moral ... c'est bon-bon, c'est bon-bon...

    RépondreSupprimer
  26. Véritable exercice littéraire, personnage émouvant, critique a la Zola.

    RépondreSupprimer
  27. Eh ben tu renverses ton verre de rouge sans faire exprès sur son anorak et tu lui en prêtes un que tu avais justement avec toi ce jour-là.
    Le vieil anorak, si t'es gentil tu le lui laves dans ta machine, et si faut quand même pas exagérer tu le jettes.

    RépondreSupprimer
  28. Christine,

    Vu la différence de stature entre nous, je n'ai pas beaucoup de fringues à lui prêter !

    Disp,

    Merci ! (mais n'en fais pas trop).

    Romain,

    Ah ! Tu vois...

    Carole,

    Non, on n'a pas tous un Camille. Désolé d'être "rude", mais les gens vont s'apitoyer devant "leur" clochard ou "leur" petit vieux tout seul dans l'appartement en face : ça n'est qu'une pitié de façade, pour se donner bonne conscience.

    Jean,

    Merci !

    Marie,

    Merci !

    Melclalex,

    Merci. Mais Camille n'est pas un chic type. Juste un poivrot qui ne fait pas de bruit...

    Le Coucou,

    Ah non ! T'en aller est trop facile...

    Gildan,

    Oui, ce genre de vie entraine assez rarement une survie miraculeuse.

    Elmone,

    Il n'en a pas. Tout est lié : la solitude et le fait de ne pas en avoir. Mais il serait mieux qu'il ait quelqu'un pour s'occuper de lui...

    Poireau,

    Merci. Un hôtel "au mois" a rarement de l'électro ménager...

    RépondreSupprimer
  29. A mon avis, il devrait mourir assez vite. C'est en général ce que font les malheureux dans son genre.

    RépondreSupprimer
  30. Didier,

    Oui. C'est peut-être ce que j'aurais du répondre à Carole, ci-dessus. On n'a pas tous quelqu'un dans la vie qui va mourir parce qu'il n'a que ça qui soit encore à sa portée.

    RépondreSupprimer
  31. Non je ne pensais pas du tout à un clochard ou a quelqu'un que je ne connais pas... bien au contraire...
    peut être pas pour la mort en effet...

    RépondreSupprimer
  32. Carole,

    Je t'ai répondu un peu brutalement, désolé ! Mal luné, moi, ce matin...

    RépondreSupprimer
  33. "En fait, on ne saura jamais le fin mot de l’histoire mais il parait que « il y a eu un échange très violent entre le président de la Commission (José Manuel Barroso) et le président français. »

    Espérons que la FFF fera le nécessaire en créant une commission qui déterminera ce qui s'est effectivement passé dans le bus.

    RépondreSupprimer
  34. oui bon ! mon dernier message répondait au billet suivant ....
    Hou la la

    RépondreSupprimer
  35. Oui, tu t'es trompé. La faute à Domenech.

    RépondreSupprimer
  36. Formidable! On voit les poulets tourner dans la rôtissoire... vous êtes le fils de L.-F. Céline et du père Dodu. Vous devriez emballer vos billets dans des barquettes sous vide.

    RépondreSupprimer
  37. Billet touchant c'est vrai. Un peu triste à lire même.

    Et en plus tu me lies au mot fille ???

    C'est plus ce que c'était !

    RépondreSupprimer
  38. Poignant... Grand et beau billet. Celui qui m'aura le plus ému de cette année, pour l'instant. Ma Grand-Mère avait coutume de dire, "la vie est un bâton merdeux et on en mange chaque jour un petit bout...".

    RépondreSupprimer
  39. Anonyme,

    Peut-être pas.

    Val,

    Merci !

    Laurent,

    Vive ta grand mère !

    Merci.

    RépondreSupprimer
  40. voilà donc un lien qui m'aurait échappé !? Merci, en tout cas.

    RépondreSupprimer
  41. Voilà donc un lien qui m'aurait échappé !? Merci en tout cas.

    RépondreSupprimer

La modération des commentaires est activée. Je publie ceux que je veux. On ne va pas reprocher à un journal de ne pas publier tous les courriers des lecteurs...