24 septembre 2013

La fausse bonne nouvelle de la baisse des commissions sur les cartes

A l’heure où l’on parle beaucoup de réindustrialisation, notamment avec la présentation par François Hollande et Arnaud Montebourg des 34 projets, on pourrait aussi s’interroger sur le secteur bancaire. Aussi, quand j’ai vu le sous-titre de cet article du Télégramme dans Google News, ce matin, j’ai été un peu surpris. « Bonne nouvelle. Mastercard et Visa se sont engagés à baisser les commissions interbancaires des cartes bancaires émises essentiellement par la grande distribution. » Je me demande si le journaliste qui a écrit tout ça pourrait nous expliquer en quoi c’est une bonne nouvelle…

Reprenons l’affaire : Mastercard et Visa vont baisser les commissions qui sont payées par la banque du commerçant qui accepte une carte à la banque du client qui utilise cette carte. Ceci ne concerne pas la majorité des cartes bancaires émises en France qui sont aussi estampillées CB, c'est-à-dire par le Groupement Cartes Bancaires, émanation des banques Françaises. Certaines enseignes de la grande distribution diffusent maintenant leurs propres cartes Mastercard ou Visa mais en dehors du système CB.

L’autorité machin truc qui a conclu l’accord avec les deux géants américain conclut : « In fine, ce sont les consommateurs qui bénéficieront de cette baisse des commissions, au travers de la répercussion sur les prix de détail des économies de frais bancaires que les commerçants auront pu obtenir auprès de leurs banques » ! C’est globalement faux. La banque d’un commerçant vendant un iPhone à 700 euros payera deux euros de moins en commission à la banque du type qui l’achète. Comme cela représente environ 5% des transactions (et encore, j’ai un doute sur ce chiffre qu’on trouve dans la presse), l’impact réel devrait être de l’ordre de un centime par iPhone en moyenne. En gros, l’iPhone à 699€99 pourrait passer à 699€98.

Voilà ce à quoi passent leur temps certains types dans des « autorités » en oubliant que ce genre de considération ne rentre pas dans le calcul du commerçant qui fixe ses tarifs en fonction de ce qu’on appelle le marché. Ils sont rigolos ces libéraux en peau de lapin qui veulent réguler les marchés en oubliant qu’ils existent ! Si on y pense bien, ils imposent à des acteurs étrangers de baisser leurs tarifs pour faire une plus grosse concurrence aux acteurs Français…

Les hypermarchés émettent ces cartes pour offrir un service au client : l’achat à crédit. Ils utilisent leurs cartes pour payer et payent ultérieurement en prenant des intérêts qui sont payés par les clients. En développant ce type de cartes, on augmente donc les frais des consommateurs.

En encourage la consommation, certes, mais aussi le surendettement ! Il en est où mon journaliste avec sa bonne nouvelle ?

Reprenons !

Un jour, on a décidé de faire une monnaie commune avec d’autres pays européens. Cette monnaie commune n’avait de sens que si elle pouvait être utilisée partout avec tous les types de paiement. On appelle l’Europe des paiements. Le SEPA. Single Euro Payments Area. Le SEPA concerne tous les pays d’Europe et pas seulement les pays où la monnaie est l’euro. Avec la carte, ça ne posait pas de problème. Votre carte française était aussi estampillée Visa ou Mastercard, vous pouviez l’utiliser chez tous les commerçants européens qui acceptaient ces cartes. Pour les autres moyens de paiement (chèques, TIP, virements, prélèvements,…), c’était beaucoup plus compliqué. Chaque pays avait ses pratiques. Il a fallu tout d’abord se mettre d’accord sur les solutions à développer, puis créer un cadre juridique et réglementaire commun et enfin développer les moyens techniques correspondants, donc les structures juridiques ou commerciales en charge de les gérer. Ca ne s’est pas fait en un jour, vous vous doutez bien ! Tout ce bazar devrait être fini pour le 1er février 2014.

Pour la carte, il n’y avait ainsi rien à faire puisqu’elle fonctionnait déjà. On espérait que les banques européennes se mettent d’accord pour développer leurs propres réseaux. On aurait pu imaginer, par exemple, que le Groupement CB des banques françaises s’étende à toute l’Europe. Cela ne s’est pas fait pour différentes raisons, des intérêts contradictoires,…

Du coup, le marché des paiements entre pays européen est resté comme avant, aux mains de deux géants américains, Mastercard et Visa. Il existe d’autres machins comme American Express, JCB, Diners, … mais ils restent assez marginaux en France et plus ou moins réservés à des clients qui voyagent beaucoup.

Par contre, la mise en œuvre du SEPA s’est accompagnée d’une dérégulation bien libérale. Il fallait ouvrir les marchés. Concrètement, CB ne pouvait plus exercer un quasi-monopole sur le territoire. Ainsi, Mastercard et Visa ont pu commencer à émettre des cartes plus estampillées CB ce dont ont profité les « services financiers » des chaines de grande distribution pour émettre des cartes.

Reprenons

Les « autorités » ont fait baisser les commissions à Visa et Mastercard pour que leurs commissions soient identiques à celles pratiquées entre elles par les banques françaises. Je vais revenir sur les aspects techniques pour que vous compreniez bien dans la prochaine section.

Mais si des « non banques » peuvent émettre des cartes pas CB mais uniquement Visa ou Mastercard puisqu’elles sont acceptées partout aux mêmes conditions financières que pour les cartes CB, les banques françaises finiront par émettre elles-mêmes des cartes Visa ou Mastercard non CB. Après tout, pourquoi elles continueraient à payer des redevances pour deux réseaux, l’international et le Français ?

Ainsi, avec cette baisse de commissions des acteurs étrangers « imposée » par « une autorité », ce sont plus de flux financiers qui vont passer par eux, au détriment du système bancaire français. Il en est où mon journaliste avec sa bonne nouvelle ?

En fait, le Groupement Carte Bancaire se trouve fragilisé au profit de deux sociétés américaines. Nos autorités qui se battent pour la concurrence vont faire en sorte de tuer un acteur français qui a un quasi-monopole parce qu’il résulte d’un accord entre banques françaises favorisant la concurrence entre elles. En le tuant, elles vont donner un quasi-monopole à deux acteurs non européens qui vont donc profiter des flux financiers liés à une majorité des paiements.

Il ne faut pas espérer voir émerger d’autres réseaux. C’est assez facile d’émettre une carte adossée à un nouveau réseau mais si une majorité des commerçants n’a pas un terminal capable de les accepter, on est mal barrés…

Il en est où mon journaliste avec sa bonne nouvelle ?

Les autorités doivent se préoccuper de la situation et, maintenant que le SEPA est fait, se pencher sur la situation des cartes pour forcer les banques Européennes à développer leurs propres réseaux. La situation de la France est particulière : c’est le seul pays ou presque à disposer d’une entité comme CB. Il aurait pu suffire de le relier avec les réseaux équivalents des autres pays mais ils n’existent pas. La logique voudrait d’imposer le réseau CB (qui serait évidemment renommé au sein d’une entité européenne) en tant que base pour faire un réseau européen. Je ne sais pas où en sont les travaux, les réflexions,…

Il en est où mon journaliste avec sa bonne nouvelle ?

Reprenons

Il ne s’agit pas de pleurer sur le sort des banques qui vont devoir payer des commissions à des boites étrangères pour pouvoir émettre des cartes et donner la possibilité à leurs clients commerçants de les accepter. Il n’empêche que ce sont des entreprises comme les autres et il faut y songer.

D’autant qu’elles ne sont pas exactement comme les autres, elles sont aussi faites pour financer l’économie en accordant des crédits et si leurs profits baissent parce qu’elles payent des commissions à l’étranger, elles ne pourront pas accorder autant de crédits…

Il en est où mon journaliste avec sa bonne nouvelle ?

Je vais vous raconter une anecdote. Le nom de domaine de ce blog, jegoun.net, arrive à expiration dans quelques jours et je n’arrive pas à payer son renouvellement à cause d’un bug chez Google (où je l’ai acheté). J’ai réussi à payer pour les autres blogs, il s’agit bien d’un bug (peut-être lié à une connerie que j’aurais faite). Toujours est-il qu’on me dit de passer maintenant par Google Wallet – le portefeuille électronique de Google – pour payer (ce qui ne résoudra rien). Il n’empêche que passer par Google Wallet est aussi donner des flux financiers à une boite américaine, elle-même en situation de quasi monopole sur plusieurs secteurs.

Donc pour renouveler mon nom de domaine acheté chez Google, je serais obligé de payer par un moyen de Google ? J’espère que c’est une farce !

Saluons donc l’initiative de trois banques françaises qui viennent de sortir Paylib ! Et évitez les systèmes de paiement de sociétés non européennes. Paylib est présenté par la presse comme un concurrent de Paypal. C’est faux.

Reprenons et concluons

Avec cette fausse bonne nouvelle, les autorités encouragent la mort d’acteurs européens d’une industrie, celle du paiement par carte, qui représente une part non négligeable des bénéfices des banques avec les commissions qu’elles nous prennent ou qu’elles prennent aux commerçants. Elles devront les reverser à des acteurs étrangers.

C’est mal.

Encadré 1 – des schémas de paiement

Des « schémas de paiement » tels que Mastercard, Visa et CB regroupent différents aspects :
-         une marque commerciale. C’est surtout vrai pour Visa et Mastercard qui développent plein de produits (assurances, …) autour de leur carte et moins pour CB (les banques françaises se concurrences entre elles),
-         un cadre réglementaire et juridique. Les particuliers s’en foutent un peu mais c’est très important pour les banques,
-         des spécifications sécuritaires et techniques. Tout cela est bien compliqué mais il faut qu’une puce puisse dialoguer avec un terminal tout en respectant le cadre réglementaire et technique. Ces spécifications sont de plus en plus normalisées (les schémas ont à peu près les mêmes, les spécificités de chacun sont assez faibles). Elles sont complétées par des procédures d’agrément ou de certification pour s’assurer que les industriels font bien des produits (cartes et terminaux) conformes aux exigences des schémas,
-         un réseau informatique pour permettre aux banques d’échanger les autorisations et les flux financiers.

Encadre 2 – un peu d’histoire des réseaux

Dans le temps, on avait Eurocard et Carte Bleue qui représentaient, en France, Mastercard et Visa. Dans les années 80, les banques françaises ont créé le Groupe des Cartes Bancaires CB pour garantir l’acceptation des cartes qu’elles émettent sur tous les terminaux et dans tous les distributeurs de billet du pays. Au sein du GIE, il y avait le Réseau Carte Bancaires, l’eRSB, maintenant : le réseau de services aux banques.

Toutes les transactions par carte transitaient par ce machin qui permettait aux banques de communiquer entre elles mais aussi avec les deux réseaux internationaux majoritaires Mastercard et Visa.

Ce système permet que chaque carte française (CB) mais aussi chaque carte étrangère (Mastercard ou Visa) fonctionne sur chaque terminal français. Tous les terminaux de paiement en France acceptent donc les cartes des trois réseaux (une carte CB Mastercard ou CB Visa sera traitée en mode CB).

Depuis quelques temps, ces réseaux étrangers encouragent les banques à se connecter directement à eux, sans passer par le eRSB. En gros, ils ne leur laissent plus trop le choix (elles peuvent néanmoins passer par un opérateur technique tiers pour assurer la compatibilité technique).

Mastercard et Visa disposent ainsi de tout le réseau français de terminaux de paiements mis en place par les banques et leurs clients, les commerçants, mais se passent désormais des moyens techniques (le eRSB) commun aux banques françaises…

Elles prennent le beurre et gardent l’argent du beurre.

12 commentaires:

  1. Note très intéressante.
    Merci beaucoup.
    Bz

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  2. pas simple tout ça d'autant que la baisse des com ne profite évidemment pas au consommateur

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    1. Ça me fait penser que tu es l'inspirateur de ce billet (notre échange d'hier) et que j'ai oublié de te citer ! Pour une fous que je fais un billet au bistro le soir et que je prends le temps de le fignoler le matin...

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  3. Excellente, ton explication.

    On est loin d'une fois où, devant des amis ébahis, qui ne connaissaient pas encore, j'avais à 3h du matin fait à Romorantin un retrait au distributeur du CA local (alors que je n'étais pas du coin), avec ma carte Contact. A l'époque (il y a juste 40 ans), les puces n'existaient pas encore. Le réseau CB non plus.

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    1. Tiens. J'avais oublié de te répondre.

      La migration à EMV n'est pas directement en cause. Elle a simplement été mal faite. CB aurait dû se positionner comme un concurrent à MasterCard et Visa. On a d'un côté un AID à nous et l'autorité de certification qui va avec. Il suffit de connecter les banques étrangères au réseau et leur donner l'application pour les terminaux.

      L'erreur qui a été faite a été de faire des applications pour les terminaux spécifique au marché Français. Les spécifications auraient du se limiter aux protocoles (cb2a autorisation et cb2a télé collecte, pas télé paramétrage ou alors des trucs plus générique (champs 43, 42, 33,...) d'identification des terminaux et quelques trucs comme une table des BIN pour autoriser les traitements off-line. Un protocole de télé paramétrage à part aurait pu être développé pour répondre aux exigences françaises.

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    2. En résumé l'erreur fut CB5.1 pas CB5.2 ni EMV.

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    3. Ici on a un paquet de VANs qui font le liens entre les banques et les commerçants et eux ne sont pas décidés du tout a se laisser manger par VISA et MCW. Ils freinent des 4 fers et se moquent pas mal des injonctions des géants américains.

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  5. Très intéressant en effet. Si je comprends bien, grâce aux efforts du groupe CB, presque tout le parc de terminaux accepte CB/Visa/MC, le tout au standard EMV depuis 2003, mais un paiement par carte 'CB+autre' sera forcément pris en charge par le système CB? Dans ce cas, la majorité des paiements par carte (physique) passe par CB, mais tu dis que CB va se faire étouffer par Visa-MC, pas vrai? Est-ce que CB ne peut pas profiter de cet avantage pour proposer des com compétitives par rapport à Visa-MC et assurer sa survie sur le marché libre? Ou l'ensemble des utilisateurs français ne fait pas le poids face aux prix que peuvent se permettre les 2 géants?

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    1. Visa et MasterCard sont des sociétés commerciales, CB n'est qu'est regroupement de moyens. Les vraies commissions sont entre les banques (CB fait le tri pour calculer tout ça). C'est une histoire d'équilibre entre les cartes et les terminaux.

      Les banques sont en concurrence entre elles plus qu'avec MasterCard et Visa.

      Par ailleurs, tout commerçant peut réduire des prix pour augmenter le chiffre d'affaire mais au détriment de sa marge. Enfin, les banques étant obligatoirement MasterCard ou Visa pour être à l'international, ça leur coûte trop cher de conserver un réseau à elle. Un espèce de cercle infernal.

      La décision devrait bien être politique mais irait dans ce cas à l'encontre des règles de concurrence.

      Le fonctionnement des autres pays d'Europe est différent. Ici, les banques gèrent eux même leurs commerçants. Dans d'autres pays, ce sont d'autres opérateurs. On a du mal à se rendre compte tellement on est habitués au système.

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