06 février 2011

« T’es au courant, Nicolas ? j’ai perdu ma mère cette semaine. »

Il était un peu pochetronné, ce soir, le vieux Joël. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Il faut dire que généralement, il ne sort que le soir et qu’aujourd’hui, il a débarqué à la Comète vers 14 heures. Je venais de passer à table (c’est une expression, j’ai mangé au comptoir). Patrice et le vieux Jacques ont mangé en salle.

Ce soir, j’ai répondu à son troisième appel, au vieux Joël vers 19h20. Il voulait encore boire un coup, à l’Aéro. Alors j’y suis allé, sortant de ma torpeur naturelle, une dimanche soir.

J’ai profité du trajet pour appeler ma mère. Au moins deux jours que je ne l’avais pas fait. Ce midi, j’étais à l’apéro avec Corinne et sa mère, dont je parle souvent dans mon blog bistro, voire ici. Ce midi, on parlait de choses et d’autres, avec Corinne et j’ai appris l’âge de sa mère. Elle marche péniblement, avec sa canne, buvant des Kir dans tous les bistros, en silence. Je l’aime bien. Je les aime bien. En fait, elle a le même âge que ma mère qui ne boit pas de Kir mais lit mon blog, je vais arrêter de raconter des conneries.

Alors je suis arrivé à l’Aéro. Le vieux Joël était un peu pompette. Il était 19h30. Un peu, pompette, il me faisait un peu chier. Sans plus. Le vieux Joël est un amour. Je vous conseille  d’avoir un vieux Joël dans vos bagages. Les autres clients étaient également saouls. Du coup, je suis allé boire un coup au PMU. Personne. Je suis revenu à l’Aéro. Le vieux Joël partait et les autres m’emmerdaient. Du coup, j’ai sorti l’iPhone et j’ai commencé à papoter avec Minijupe et Zette. C’est bien, l’iPhone, ça permet de jouer à l’autiste. Se faire oublier.

Vers 21h, j’ai levé la tête. J’étais le dernier. Le seul client. Je finis mon verre et je salue le patron. « Bois-en un dernier » qu’il me dit. Je dois reconnaître que ce genre de proposition ne me laisse pas indifférent,  d’autant que j’avais encore soif. El Camino, qui est au savoir vivre ce que la capote est à l’adultère, ne me démentira pas.

Il était 21h et le patron m’a servi une nouvelle bière.

« T’es au courant, Nicolas ? j’ai perdu ma mère cette semaine. »

Non, je n’étais pas au courant. Il m’a alors raconté. Ca fait moins d’une heure mais j’ai oublié. Il a foncé à l’aéroport pour assister à l’enterrement, a cherché un avion pour l’Algérie. N’a pas trouvé. Il a perdu sa nuit et a repris son service.

« T’es au courant, Nicolas ? j’ai perdu ma mère cette semaine. »

Non. Je ne suis pas au courant. Mes condoléances et tout ça. Je ne sais pas quoi dire.

« T’en rebois un autre ? » « heu le dernier alors, on est dimanche, j’ai école demain. »

Alors j’ai fini mon verre. Il m’en a servi un nouveau. Je l’ai bu. Je suis parti. Je suppose qu’il est rentré chez lui, tout seul, à l’appartement lié au bistro. Il ne verra sa femme et ses enfants que demain soir. Il a un bistro à ouvrir, à 5h30 demain.

Il n’a plus sa mère. Elle a été enterrée, sans lui, dans la semaine, en Kabylie.

« Bois-en un dernier »  qu'il m'avait dit. J'avais accepté. Évidemment. J'étais le seul avec qui il pouvait parler de sa mère.

24 commentaires:

  1. Pfiou.
    C'est marrant, mais en fait, on s'attend pas à ce que les serveurs ou patrons de bistros nous fassent des confidences. En principe, c'est l'inverse.

    Enfin, tout ça pour dire, t'as finalement picolé comme un polonais.

    RépondreSupprimer
  2. ZETTE : Mais fais attention à ce que tu dis !!!!

    Il picole pas JEGOUN, il boit de la bière, c'est pas pareil... ;o)

    RépondreSupprimer
  3. Il me laisse tout drôle ce billet. Merci !

    RépondreSupprimer
  4. Zette,

    Oui, c'est un peu l'impression que j'avais. Je suis client depuis tellement longtemps dans les bistros de Bicêtre et avec tellement de "retenue" que ce sont les patrons de bistro qui me font des confidences.

    Minujupe,

    Non, je n'ai pas picolé ce soir. Jamais le dimanche.

    Yann,

    Moi aussi...

    RépondreSupprimer
  5. He ben un drole de dimanche soir... Il devait avoir un drole de gout le dernier

    RépondreSupprimer
  6. Et ça fait quand meme beaucoup de deces, trop

    RépondreSupprimer
  7. Gaël,

    Ouais. La nuit va être courte.

    RépondreSupprimer
  8. Dire que quand on trinque, on dit "à ta santé"

    RépondreSupprimer
  9. Y'a toujours l'une qui flaire le cul de l'autre

    RépondreSupprimer
  10. C'est une bien triste histoire tout de même. Elle est parfois dure à vivre cette vie. Encore plus pour les expatriés. Salut Joël de ma part, je l'aime aussi.

    RépondreSupprimer
  11. Il est probablement couché. Il n'a pas entendu l'histoire. Idir a attendu qu'on soit seuls. En tant que patron de bistro, il n'a pas le droit de perdre sa mère, il doit faire le con avec les clients.

    Tu as vu comment il m'a annoncé ça ? "Tu es au courant Nicolas ?"...

    RépondreSupprimer
  12. J'ai lu aujourd'hui je ne sais combien de billets, celui-ci sera le dernier et pour autant que j'y sois autorisé, je l'ai jugé très bon. La description que vous faites du bistrot (pas le lieu, la personne) est très juste. Bien souvent, ils sont les réceptacles de tous les maux de la terre; bon d'accord les maux de quelques clients avinés; mais que savons nous d'eux ? Pas grand chose, si ce n'est rien. Une autre forme de solitude.
    Reste une drôle d'impression, sans doute que demain matin je ne verrai pas mon bistrotier du même oeil.

    RépondreSupprimer
  13. Defrançoisjose,

    Merci. On oublie souvent qu'un patron de bistro a une mère. Tous mes copains savent que j'ai une mère : je vais la voir toutes les trois semaines, en Bretagne. Mais on oublie qu'un patron de bistro a une mère...

    RépondreSupprimer
  14. triste histoire racontée avec beaucoup de pudeur et d'émotion, l'air de rien ...

    @Zette : t'es sûre que les polonais boivent de la bière ?

    RépondreSupprimer
  15. Au début, je retenais la description, magnifique comme bien souvent, d'El Camino.

    Puis après ben tu continues à lire... Et comme dit Yann, il laisse tout drôle ce billet...

    Rien à rajouter...

    RépondreSupprimer
  16. Heureusement, dans ces moments-là, on a des Nicolas à qui payer un dernier verre, à qui raconter sa vie, des amis pour vous consoler. C'est triste à dire mais il n'y a que dans ces moments-là qu'on se rappelle qu'on est en vie, qu'on se réveille à notre humanité de compassion, de fraternité. Bon, j'arrête de faire ma Ségo... Mes pensées au patron.

    RépondreSupprimer
  17. Poireau,

    D'accord.

    Béa,

    Merci.

    FalconHill,

    Non, c'est toujours difficile à ajouter.

    Lucia,

    Merci pour lui. Heureusement qu'il avait son Nicolas mais, tu vois, j'ai été presque choqué d'être le seul à qui il puisse se livrer, alors que nous ne sommes pas "spécialement copains" même si on s'entend très bien.

    Les gens (pour poursuivre ce que je disais à Lucia),

    En fait, j'ai un peu raté mon billet : j'ai fait du Nicolas. Du bistro, de l'émotion et tout ça.

    Je voulais faire un billet sur la solitude, comment ça se fait qu'une personne ne puisse dire des trucs qu'à moi ?

    RépondreSupprimer
  18. Je ne vais pas démentir. Absent un week-end des blogs et il s'en passe des choses tristes.

    RépondreSupprimer
  19. J'aime beaucoup ce billet, et je me félicite qu'une nouvelle occasion se soit présentée.

    RépondreSupprimer
  20. Fanette,

    Je n'aime pas ce genre d'occasion (et j'ai bien vu que tu avais commenté un de mes vieux billets, merci, mais j'ai un problème technique qui fait que je passerais trop de temps à répondre aux vieux commentaires. (tu m'envoies un mail et je t'explique).

    Elc,

    Bah ! Il se passe toujours des choses tristes. Mais j'ai un réflexe idiot de blogueur pour en faire des billets.

    RépondreSupprimer

La modération des commentaires est activée. Je publie ceux que je veux. On ne va pas reprocher à un journal de ne pas publier tous les courriers des lecteurs...