06 octobre 2023

Faire et défaire l'information


 

Une des choses qui énerve, avec la politique et, d’une manière générale, l’information, c’est la façon avec laquelle on fait buzzer les sujets d’une part à la télévision et d’autre part dans les réseaux sociaux. J’en parlais récemment avec des collègues, l’une d’origine italienne, l’autre marocaine. Les deux m’ont confirmé que cela n’existait pas leurs pays.

Je ne vais évidemment pas faire l’apologie de la démocratie dans ces deux pays mais je trouve cela très néfaste chez nous, nous poussant dans les bras du populisme et tout ça.

Regardez cette pauvre Mathilde Panot qui brandissait une espèce d’éprouvette avec des punaises de lit. Je ne sais pas ce qu’elle cherche avec cette mise en scène mais j’ai un doute. Je ne sais pas pourquoi on parle tant des punaises de lit, peut-être parce qu’un type en a trouvé dans un cinéma mais l’importance dans les médias et démesurée. Et faire le guignol à la tribune pour expliquer que le gouvernement est responsable ne me semble pas très fin.

Pour rigoler, vous pouvez regarder la page de Wikipedia au sujet des punaises de lit. Les écolos ne vont pas être contents mais on y lit que la résurgence de ces braves bestioles vient en partie de l’interdiction de certains pesticides.  

 

Je fais partie de ces braves gens qui se documentent un peu mais je me fous des punaises de lit. Alors je me contente de Wikipedia… Ou presque. Par exemple, je me moque de Mathilde Panot mais elle signale un vrai problème et fait part de sa préoccupation depuis au moins quatre ans. Elle connaît donc mieux le sujet que moi. Je ne sais pas pourquoi on parle de ces bébêtes maintenant alors que le rapport « alarmant » est paru en juillet et porte sur des chiffres d’il y a environ un an. Cherchez « Punaises de lit » dans Google News et vous aurez des sujets pour vous foutre de la gueule de la presse.

Car on en est bien là ! Notre conversation, avec les collègues du bureau, a dévié sur ce sujet (le traitement par la presse des punaises de lit) et j’ai eu la même, le soir, au bistro. A force de voir des sujets buzzer, tout le monde en rigole.

 


Dans les réseaux sociaux, il y a une difficulté complémentaire : les internautes ne cherchent plus à lire. Pas plus tard qu’hier, j’ai vu un élu municipal de l’opposition, dans ma commune, publier un texte accablant pour la gestion du maire élu en juin. Pour prouver ses propos, il a joint un rapport de la Cour des comptes et n’a pas manqué de souligner que les médisances ne venaient pas de lui mais de l’organisme officiel qui contrôle ces machins.

S’il avait cliqué sur le document qu’il partageait, il aurait vu qu’il datait en fait de 2003. Il a donc un peu plus de vingt ans…

 


Dernier exemple : un sujet a fait l’objet de dizaines de vidéo dans TikTok, toutes avec beaucoup de commentaires. Il porte sur un décret du gouvernement datant de fin août portant sur l’utilisation des eaux usées traitées et des eaux de pluie. Il est très peu clair, reconnaissons-le ! Mais les gens l’ont lu de travers et ont buzzé sur le fait qu’on n’avait plus le droit d’utiliser l’eau de pluie pour remplir nos chasses d’eau et, comble du ridicule, pour arroser nos jardins.

Je comprends l’émoi.

Néanmoins, dans l’introduction du décret, il est indiqué : « Il définit également les conditions pour l'utilisation, sans autorisation, des eaux de pluie pour les usages non domestiques. » Quelle que soit la qualité rédactionnelle du décret, il est clairement indiqué que nos eaux de pluies pour nos chiottes et nos potagers ne sont pas concernés.

 


En août, il y a eu trois grosses polémiques : l’invitation de Médine aux festivités estivales de certains partis politiques, « l’abaya » et les Lacs du Connemara à droite. Je passe la première (il n’empêche que certains cadres des partis concernés ont tenté de démontrer que le gugusse n’était pas antisémite alors que toutes les preuves me semblent disponibles ; quelle perte de temps pour étouffer une erreur manifeste !).

L’abaya a fait couler beaucoup d’encre alors qu’il ne s’agit, au fond, qu’un problème concernant peu de monde et peu d’établissements. Il n’empêche que les responsables de ces derniers se posaient des questions sur la réaction à avoir. Le ministre, Gabriel Attal, n’a fait que répondre que l’abaya doit être interdite car elle se situe dans la cible de la loi de 2004 : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Les gamines qui portent ce machin, qui n’est pas une tenue exigée par les textes, le font de toute évidence pour « manifester une appartenance religieuse ».

Quant à Juliette Armanet et les lacs de Michel Sardou, nous n’avons, en fin de compte, qu’une starlette inconnue qui a dit une bêtise au cours d’une interview pour une obscure radio et un animateur pas trop fin qui a tweeté une partie et a récolté le buzz. Si ces propos n’étaient pas le reflet de bêtise de la gauche qui ne sait plus se positionner qu’en fonction d’une opposition à la droite, ils n’auraient strictement aucune importance. D'un autre côté, on a moins parlé des saloperies proclamées récemment par Sardou (encore que, je me demande si elles ne sont pas sorties du contexte).

 


Je ne suis pas en train de me plaindre du fait que l’on ne traite pas des « vrais sujets » d’autant que je n’ai pas à définir ce qu’ils devraient être. En plus, il y a des dizaines de types qui ont participé au buzz et qui ont prétendu, ensuite, que le buzz avait été provoqué pour cacher ces bon dieu de « vrais sujets ». Des branquignols, je vous dis…

Par contre, ce bazar diminue ma motivation pour faire des billets de blog (même si, moi-même, j’ai souvent tendance à tourner en rond). Prenez le dernier que j’ai rédigé. Il porte sur le fonctionnement de la gauche pluriel et la nécessité d’y revenir maintenant pour faire gagner la gauche. Je le lançais en rebondissant sur des propos de François Ruffin (et en concluant sur lui, aussi, ce qui est une erreur de ma part) mais aucun commentaire ne porte sur la gauche plurielle et ce qu’il faudrait pour que les gens de gauche se parlent entre eux. Deux ou trois relèvent des parties de mon blog où j’ai été un peu léger (mais quand je suis trop précis, mes billets sont trop longs) et les autres portent sur François Ruffin, pas sur ce qu’il a pu dire.

J’ai donc tendance à penser, avec tous les exemples, que les internautes imaginent eux-mêmes l’actualité et sortent des lignes de ce qu’il me semble important.

 

Un dernier exemple (ou avant dernier…). Il y a peu, les députés LR, soutenus par les « macronistes », ont fait voter un texte pour rendre obligatoire, pour les allocataires du RSA, quinze heures de travail par semaine. L’opposition dans les réseaux sociaux a tourné autour de deux points.

Tout d’abord, rendre obligatoire un travail sans rémunération est de l’esclavage. C’est vrai, mais ce n’est pas « sans rémunération » vu que, au contraire, ça conditionne un revenu. Ensuite, nos amis s’interrogent sur ce qu’on va faire de ceux qui ne peuvent pas travailler (les mères isolées, les malades, les cervicalement vides…). Or le texte de loi, qu’ils n’ont sans doute pas lu, le prévoit assez explicitement.

De fait, on omet quelques sujets. D’une part, comment cela va-t-il être mis en œuvre, combien cela va coûter, qui va offrir du travail, comment cela sera-t-il vérifié ? Ce n’est pas essentiel mais les usines à gaz inutiles me gonflent. D’autre part, on oublie ce qu’est la solidarité à la française, on oublie que les gens ne sont pas au RSA pour le plaisir, on oublie que c’est une régression, on oublie que notre société peut bien s’occuper un peu de ceux qui ne peuvent pas bosser…

On pourrait se demander si nos élus connaissent quelques « allocataires ». Mais, en fin, de compte, on se demande si les internautes ont les moindres contacts avec les personnes concernées…

 


Je vais conclure. On a appris cette semaine que « Le conseiller "chargé des retraites" d'Olivier Dussopt rejoint Axa France… leader sur le marché de l'épargne retraite. » Evidemment, nos camarades réseauteurs crient au scandale, hurlent au conflit d’intérêt ou que sais-je… Plutôt que de pisser dans un violon, ne pourrait-on pas plutôt parler de la nécessaire porosité entre le privé et le public afin que les métiers des uns et des autres soient plus connus ? Ou se demander s’il n’est pas logique de voir un type sorti de l’ENA il y a dix ans quitter le public pour le privé ? Ou s’interroger sur le fait qu’un membre de cabinet ait réellement pu faire voter un projet de loi ? Ou étudier en quoi la loi passé favorise réellement Axa (on parle de leader sur le marché de l’épargne retraite, cela ne veut pas dire qu’ils aient un rapport avec la retraite par répartition…) ? A-t-on la moindre preuve que l’embauche du gugusse par Axa était prévue ou envisagée sérieusement avant qu’il ne prenne son stylo pour rédiger un brouillon de projet de loi ? Cette loi n’aurait-elle pas été faite de toute manière, sachant qu’elle avait déjà été tentée avant la crise sanitaire et qu’elle aurait été faite également sans lui (même si, auparavant, il était responsable du pôle « idées » de LREM) ?

Je n’ai pas la réponse aux questions, rassurez-vous. J’ai celle à une autre : n’est-il pas temps de tourner la page alors que la gauche a été incapable d’empêcher cette réforme ?

 


Si je compte bien, j’ai abordé neuf sujets dans ce billet. Ca va me faciliter la recherche d’illustrations. Je n’ai rien contre l’indignation, ça occupe avant l’heure du bistro. Mais je me demande si chacun n’aurait pas intérêt à étudier les sujets dont il parle.

Revenons aux punaises de lit ! Qui va croire, objectivement, que les responsables sont Anne Hidalgo (dès qu’un sujet concerne Paris…) ou le gouvernement ? Ne ferait-on pas mieux de se contenter de rappeler ce qu’il faut faire et d’avoir une note d’optimisme en rappelant que des grandes villes, comme New York, ont réussi à traiter le sujet il y a bien longtemps ?

Visiblement, tout ce qui importe est de persuader la terre entière que les Jeux Olympiques à Paris vont foirer à cause de la petite bête qui monte.

Je me demande si je n’ai pas mieux à faire.

14 commentaires:

  1. Je trouve cette loi de 2004 tout à fait mal venue : pourquoi donc ne pourrait-on pas "afficher" sa religion, à l'école ou ailleurs ? À qui cela nuirait-il ? C'est de la "laïcité" mal comprise.

    Et en quoi est-ce mieux, ou moins "nocif", de se présenter en classe avec un tee-shirt vantant les mérites de tel chanteur ou de telle marque de baskets ?

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    1. Nous ne sommes pas d'accord au sujet de la loi de 2004 mais ce n'est pas grave vu que ce n'est pas l'objet de mon billet. Mais une marque de basket ou un chanteur a rarement des revendications politiques telles que peuvent être celles qui imposent le port du voile à des jeunes filles.

      La laïcité n'est, dans cette histoire, au mieux qu'un prétexte avec ses deux facettes "liberté de conscience" et "séparation de l'église et de l'Etat". En revanche, on peut considérer que si des groupes basés sur la religion, très visibles et devenant important deviendrait une gène pour la liberté de conscience des autres gamins voire, à terme, pour la séparation de l'église et de l'Etat si un groupe religieux finissait à avoir du poids au sein d'un établissement d'éducation national : il pourrait finir par remettre en cause l'enseignement. Pour simplifier, disons que si un prof dit que le terre est ronde (ou sphérique) et qu'un groupe d'ahuri suffisamment constitué répond que c'est faux, l'enseignement serait remis en cause.

      Par contre, vous tomber en plein dans ce que j'évoque dans mon billet. L'histoire de l'abaya n'est qu'une anecdote. Le point important (le "vrai sujet") est la loi de 2004. A la limite, on pourrait ouvrir un débat ce qui ne me paraitrait pas idiot pour un texte de ce genre qui a vingt ans : le temps pourrait être venu d'en faire un bilan. On se fout de l'abaya et ce torchon a buzzé à cause d'imbéciles.

      Et le bilan serait certainement que l'interdiction du port de signes ostensibles d'appartenance à une religion n'est pas un problème (tant que des imbéciles ne cherchent pas un biais pour la contourner). Qu'on ne porte plus de kippa, de turban ou de voile n'est pas très grave, en fin de compte.

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    2. Il me semble qu'on prend le problème à l'envers ; ou qu'on le regarde par le mauvais bout de la lorgnette. À quoi sert d'interdire à trois adolescentes de se couvrir les cheveux, ou ce qu'elles veulent, pour entrer dans leur lycée si, par ailleurs, au nom d'un antiracisme devenu dément, on s'aplatit chaque jour un peu plus devant les islamopithèques (soit la frange la plus bruyante et énervée des musulmans) et qu'on court littéralement au-devant de leurs prochaines revendications ?

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    3. Ce sont pas les mêmes qui interdisent les serpillères comme couvre chef et ceux qui foncent devant les revendications.

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  2. Vous regrettez que vos commentateurs ne reprennent qu'un ou deux points de vos billets, mais avouez que vous ne leur facilitez pas la tâche en évoquant dans un même texte le RSA, les punaises de lit, l'abaya, Anne Hidalgo, l'eau de pluie qui mouille et je dois en oublier. Tous vos commentateurs n'ont pas votre expérience de la synthèse issue d'années au parti socialiste, alors nous commentons comme nous pouvons, avec nos faibles moyens, nos biais politiques, notre mémoire qui flanche ... Et surtout avec un faible appétit pour s'écharper sur tout ce qui réunit ces buzz qui font l'écume des jours : la petite forme de ce qui nous reste de civilisation.

    La Dive

    La Dive

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    1. Je n'ai jamais fait partie du moindre parti politique et, si je regrette des trucs, je ne reproche rien.

      Comment aurais-je pu faire un billet au sujet des informations qui génèrent un buzz sans le moindre importance sans prendre comme exemple les buzz actuels, ceux récents, des buzz hors des réseaux sociaux habituels, des buzz sur la base d'informations erronées... et les commentaires de mon blog (qui illustrent plus le fait que je ne formule pas spécialement bien mes introductions et conclusions que la compréhension de mes lecteurs) ?

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  3. J'ajoute un détail, Didier, Henri.

    Je suis beaucoup déçu par le "microcosme" que représente les intervenants politiques dans Twitter, mort sous X. Il a toujours existé mais il devient de pire. C'est du moins ce que je ressens en tant qu'un des derniers blogueurs politiques de "ma bande" (et peut être de toute la gogoloblosphère).

    Je vais citer un exemple. Dans mon autre blog, je parle beaucoup de séries télévisées. Je publie les liens de mes billets dans Twitter et dans Facebook. Dans ce dernier, je mets toujours un petit commentaire du genre "j'ai bien aimé machin et j'en parle dans mon blog". Figurez-vous que ma publication génère dans les premiers moments plus de like et de commentaires que de lecteurs. Donc, les gens qui likent ou commentent là bas ne lisent pas mes billets. Je me fous de pas être lu, c'est plus une question de principe : les gens likent sans trop regarder.

    Pour le blog politique, c'est pareil (indépendamment de mon échange avec Henri, ci-dessus), sauf que cela se passe plus dans Twitter. Quand je dis "plus", c'est une façon de parler. Si je regarde les stats fournies par blogger pour la semaine écoulée, Twitter a amené 0,4% des visites (soit 17). Donc tout le monde s'en fout (moi aussi, mes statistiques globales n'ont pas baissé) : les gens ne s'intéressent qu'aux sujets qu'y buzzent (et qu'en j'en parle, j'arrive généralement après le buzz). Comme les sujets qui buzzent n'ont aucun intérêt (voir mon billet), on va dire que ça me casse les couilles.

    Ce qui ne m'empêche pas de continuer à aimer écrire (cette semaine, j'ai eu deux jours de formation alors mes deux journées suivantes ont bien été chargées pour le boulot) et à papoter avec les gens en commentaires.

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    1. Ce commentaire était sans intérêt. Je l’ai lancé suite à une discussion déprimante avec un collègue. Et je l’ai terminé (à partir du moment où j’ai dit que ça me cassait les couilles) après avoir reçu une bonne nouvelle.

      Suis-je lunatique ?

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  4. Moi je vois bien les caractères communs à tous ces sujets, pourtant qui sautent aux yeux : tous les personnages et bidules cités dans ce billet sont des casse-couilles notoires et nuisibles d'une manière ou d'une autre.

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  5. petit détail pour le RSA ce n'est pas du "travail" mais de "l'activité" qui pourra être réduite suivant le contexte de l'usager. Details sur LCP qui a lu l'amendement en question . Activité pouvant être tout autre chose que ce que certains imaginent. Et je me demande comment pole emploi va pouvoir contrôler car c'est lui désormais, le million de bénéficiaires du RSA. Et donc comment cette mesure va être appliquée et contrôlée. Et que va-t-il se passer quand pole emploi va constater que l'allocataire a une situation bien plus grave ? ce ne sont pas des travailleurs sociaux.

    https://lcp.fr/actualites/rsa-droite-et-majorite-s-accordent-sur-15h-obligatoires-d-activite-avec-des-exceptions

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    1. On est parfaitement d’accord. Si ma réponse tarde un peu c’est que je réfléchis à un billet pour demain (mais avec les histoires de ces conards de LFI et du Hamas, j’ai trop de sujets à traiter).

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    2. ça me semble un sujet secondaire le truc LFI-Hamas, on sait déjà que la FI coure après l'électorat "muslim" quitte à faire n'importe quoi.

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    3. Oui mais ces andouilles vont faire exploser l’alliance électorale qui pourrait leur permettre de subsister. Déjà que les autres partis les ont envoyé chier pour les européennes.

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