06 mai 2022

Pourquoi 2022 ne doit pas être comparée à 1981, 1997 et 2012 !


 

Un copain me faisait remarquer que le projet de Jospin en 1997 (et celui de Mitterrand en 1981) était bien plus à gauche que celui des insoumis et était donc surpris des prises de position des gens de la gauche modérée qui refusent l’accord Nupes.

Je ne vais pas beaucoup revenir sur 81, c’est trop vieux mais les législatives ont été gagnées dans la foulée de la présidentielle tout comme les prochaines le seront… Mitterrand a surtout été élu pour virer Giscard et « la majorité plurielle » en réponse à une dissolution prononcée par Chirac et en conclusion d’une période politique assez minable pour le gouvernement d’avant. Les circonstances ne sont pas les mêmes.

Je suis sans doute trop jeune pour parler du programme de 81 (programme descendant du « programme commun », d’ailleurs, ce n’était pas une improvisation entre deus suffrages successifs) mais il me semble qu’il portait un projet de société avec une diminution de l’importance du travail (la retraite, les 39 heures et la cinquième semaine) dans la société, une amélioration de la vie politique (la proportionnelle), la paix (dont une franche opposition aux pays communistes, ne l’oublions pas) et, bien sûr, la justice avec l’abolition de la peine de mort sans oublier la culture avec notamment les grands projets, une meilleure liberté de la presse...

 


Celui porté par Jospin, en 1997, est beaucoup plus présent, dans nos mémoires (mais il faut reconnaitre qu’on a bien plus en tête le bilan de la gauche plurielle que des raisons de son accession au pouvoir ; je ne crois pas d’ailleurs, qu’il y a des points vraiment dominants, dans la campagne). Le projet de société était clair, également, avec les 35 heures. On va dire « bon ben les gars, on a du chômage de masse, il est temps de partager les heures de travail » (la question n’est pas, ici, d’être pour ou contre). On avait aussi les emplois jeunes. On va dire : « bon ben les gars, les jeunes n’arrivent pas à avoir une première expérience, on va leur filer du boulot ». Il y avait le report des cotisations sociales maladie sur la CSG. On va dire : « bon ben les gars, il n’y a pas de raison que le coût de la santé soit prélevé sur les revenus du travail ».

Et même si la dernière proposition est une baisse du pouvoir des syndicats, il était assez facile, pour les forces de gauche, de se rallier à tout ça.

 

Le programme « l’avenir en commun » (le fondement du Nupes) ne repose pas sur des projets de sociétés mais sur un catalogue de mesures. Vous noterez que je le dis depuis que j’ai commencé à parler de la présidentielle sur le blog, sans doute depuis l’an dernier : il faut travailler sur le projet avant de choisir un candidat et de bâtir un programme.

S’il n’y avait pas, pour moi, quelques aspects rédhibitoires, on pourrait facilement être convaincu par ce catalogue comme on pouvait dire que celui de La Redoute était bien branlé… Le projet est uniquement « plus à gauche ou écolo que moi, tu meurs ». Et ça n’est pas porteur pour les électeurs et, rien que ça, est une raison valable pour les cadres PS et EELV, voir PS, refusent de se battre sous cette bannière AEC.

Les thèmes forts sont foireux. Lors d’une intervention télévisée, hier, par exemple, Clémentine Autain a dit que la retraite à 60 ans était à condition d’avoir 40 ans de carrière. Elle-même est donc contre la présentation de cette mesure car elle sait que les Français n’en veulent pas vu le pataquès sur l’âge de la retraite depuis 1981. Le SMIC à 1400 euros nets ne représente pas une grosse augmentation mais peu importe le montant (d’autant que ma mémoire est parfois limitée). Les gens ne sont pas concernés. Par contre, ceux qui touchent 1400 euros vont se retrouver smicards et la plupart des gens connaissent des petits employeurs qui auront du mal à rétribuer les salariés.

En résumé, le programme ne montre pas un projet visible par les électeurs et les mesures phares sont foireuses. Vous pouvez prétendre et penser le contraire mais c’est la stricte vérité. Relisez vos publications dans les réseaux sociaux…

 


La dernière formation politique a avoir gagné sur un projet de société est LREM. On va dire : « bon les gars, vous gueulez parce que le président de gauche d’avant était à droite et vous n’êtes jamais content mais de tout manière votre clivage entre la gauche et la droite est usée, et il nous faut passer à autre chose. On va être ni de droite ni de gauche et c’est comme ça qu’il faut faire. » Le précédent a avoir gagné une élection présidentiel et une majorité présidentielle, était en 2012, évidemment. On va dire : « bon les gars, ça commence à bien faire avec toutes ces banques américaines qui nous imposent une politique et notre adversaire sera le monde de la finance et on va commencer par renégocier les projets européens ». Vous pouvez prétendre le contraire mais c’est la stricte vérité, disais-je. On sera d’accord sur le fait que Macron a gouverné plutôt à droite, notamment au niveau économique, et qu’Hollande n’a pas plus terrassé d’adversaires qu’il n’a renégocié des traités… On pourrait remonter plus loin… 1997 : « bon, les gars, il va falloir vous sortir les doigts du cul et travailler plus si vous voulez gagner plus d’oseille et l’Etat va vous aider, on va vous aider à acheter des maisons et tout ça. » Passons 2002 un peu particulier et arrêtons-nous en 1995 : « bon, les gars, ça commence à bien faire toutes ces conneries de droite mais il y a dans ce pays comme une fracture sociale. »

 

Cela étant, j’ai dit que la plupart des mesures du programme AEC (je n’ai pas encore en tête le détail des accords Nupes) sont acceptables et d’autres ne le sont pas (pour moi, par exemple, ce qui concerne le nucléaire, je l’ai assez dit) mais il faut un compromis (et chacun peut juger ce qui lui va ou pas).

Mais il y a des problèmes de fond. Le plus simple est le retour sur les lois travails et El Khomri (en cherchant bien, vous trouverez aussi un retour sur les réformes territoriales) : on ne se bat pas pour remettre en cause des lois qu’on a fait voter sans refaire une étude point par point. Si vous ne voulez pas des cars Macron, c’est une chose. Que vous pensiez que les prud’hommes ne doivent pas avoir un plafonnement des indemnités, une autre. C’est pareil pour le CICE (qui n’est que le prolongement des mesures Jospin sur les cotisations, au fond) et un tas de truc. On ne dit pas : on va revenir en arrière. Non seulement c’est trahir les opinions qu’on a eues mais ça revient à dire « bon les gars, on a fait de la merde par le passé mais on ne va pas recommencer, hein, au fond, on n’est pas des loosers qui avons tout raté et se retrouvent à 1,6%, on mérite de revenir au pouvoir, hein !, c’est pas nous, c’est les autres qui travaillent maintenant avec les nouveaux vainqueurs ». Ce n’est pas un projet de société, c’est de la communication de merde et ce n’est pas porteur.

 


Il y a, aussi, le rapport avec les institutions internationales. J’aurais voulu que le projet précise qu’on ne touche à rien, évidemment (mais on ne sait pas si ces guignols veulent sortir de l’OTAN, de l’OMC et de l’association internationale des producteurs de bière), c’est un reniement complet des valeurs portées par le Parti Socialiste et pour lesquelles j’ai si souvent voté.

Mais le plus terrible concerne les traités européens : on ne peut pas en avoir une application à la carte (pour des raisons évidentes que j’ai d’ailleurs déjà évoquées) et refuser certains aspects. Dans les projets socialistes gagnant, précédemment, on avait des renégociations et c’est tout à fait possible. Pendant la crise sanitaire, d’ailleurs, les Etats européens se sont mis d’accord pour mettre certains volets en suspens alors qu’on arrête de tout comparer.

L’accord avec le PS est clair (du moins le communiqué LFI) : on renégocie les traités. L’accord avec le PCF ne dit rien. L’accord avec EELV dit : « il nous faudra dépasser ces blocages et être prêt·es à désobéir à certaines règles européennes ». Si cela devrait être fait, c’est totalement inadmissible et les lascars du PS qui ont voté le texte sans demander un communiqué explicite de LFI pour éclaircir les différences entre les trois textes sont des traitres, il faut le dire. Des traites à des années de positionnement politique, des traitres à des années de construction de l’Europe.

Jamais, auparavant, un accord électoral n’a prévu une telle trahison.

 

Il y a, ensuite, les aspects liés à la laïcité et à la République. « Ma gauche » ne peut pas soutenir des lascars qui n’ont pas les fesses propres. C’est plus important que tout, que le projet, que le candidat, que le programme. C’est la base de nos institutions. Cela contient beaucoup de chose, comme les relations avec le fameux islamogauchisme (on en pense ce qu’on en veut, au sujet de la véracité de la chose, ce n’est pas moi qui vais autorisé les burqinis dans ma baignoire en accusant les autres de mettre le sujet sur le tapis) mais j’attends sincèrement des membres de LFI qu’ils remettent les pendules à l’heure et calment les militants.

Entre nous, je suis membre du Printemps Républicain (du moins, je fais partie de leurs groupes) et je vois les tweets expliquant que les membres sont des fascistes, des racistes et des islamophobes. Cela commence à bien faire mais cela montre surtout que les auteurs de ces propos ne comprennent rien à rien et je ne veux pas gouverner avec eux. Je ne peux pas travailler avec des gars qui se prétendent de gauche et qui ne veulent pas lutter contre l’influence croissante d’une religion dans notre vie publique, une religion quelle qu’elle soit, mais il n’y en a qu’une qui revendique la nécessité, pour les gonzesses, de se foutre un sac poubelle sur la trogne, il n’y en a qu’une qui vienne périodiquement poser des bombes chez nous ou assassiner des braves gens.

Sans compter qu’ils occupent les terrasses de nos bistros pour boire des cafés… obligeant les bistros à ne plus vendre de café après 17h. On marche sur la tête.

 

Enfin, pour l’anecdote, il y a la sixième république mais personne ne sait ce qu’il y a derrière (les insoumis non plus, d’ailleurs, vu qu’ils veulent qu’une « constituante » décide) mais c’est assez rigolo de voir des clowns, et je pèse mes mots, vouloir lutter contre la monarchie présidentielle alors que toute leur communication est basée sur le culte, voire la vénération, du chef !

Par ailleurs, une constitution a deux aspects : des principes généraux – liberté, égalité et tout ça – et un mode de gouvernance. Dans ce dernier, le seul truc important est la capacité à avoir une majorité représentative capable de gouverner (pour éviter le bordel de la quatrième République). Le reste n’est pas sans importance mais est quand même assez proche du pipi de chat. En outre, il ne faut pas oublier que le président élu, quelle que soit la méthode, pourra toujours revenir vers le peuple, par un referendum, pour revoir des principes des institutions et la parole du peuple est heureusement au-dessus de tout. Alors en pondre une pendule n’est pas franchement nécessaire.

 

1981, 1997, 2012 : la gauche a repris le pouvoir. Sans s’asseoir sur les principes de la Républiques, les traités signés, les lois votées précédemment quand on était au gouvernement. A cette époque, on avait des projets de société.

C’est assez simple.

La gauche a pris ou repris le pouvoir, ces années-là (comme ne 1936, d’ailleurs) sans plateforme commune de premier tour mais avec des simples accords pour ne pas se foutre sur la gueule.

 

2 commentaires:

  1. "Dans les projets socialistes gagnant, précédemment, on avait des renégociations et c’est tout à fait possible." Oui, sauf que quand on se fait élire en disant je renégocie et qu'on ne le fait pas, ça marche une fois, pas deux. et qu'en réalité les traités européens ne sont pas renégociables sur un seul quinquennat. Et qu'il est donc gênant de dire les traités placent le marché et la concurrence au dessus du social, mais c'est pas grave, c'est comme ça. Parce que ça met Mélenchon à dix fois le résultat du PS et à juste titre. Il y a un moment où il faut trancher le nœud gordien.

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