17 juin 2025

La disparition des espèces vs. l'euro numérique

 


Il parait qu’une vidéo a fait le buzz, dans TikTok, avec une bagarre entre députés qui aurait eu lieu à l’occasion de l’étude d’une loi au sujet de l’euro numérique. Tout est faux (il n’y a pas eu de bagarre récemment et aucun projet de loi n’est à l’étude). Cela pourrait être amusant mais tous ces imbéciles qui croient à des conneries vues sur le net commence à me gonfler. Moi qui suis un gros utilisateur de TikTok, j’ai appris à vérifier l’information avant d’y apporter la moindre importance. Bah ! Cette fois, j’ai loupé la vidéo.

Ce qu’il y a de plus ou moins intéressant est que le type qui l’a diffusée dit qu’il y aurait en préparation, à l’Assemblée « une loi visant à bannir, progressivement, l'usage des espèces d'ici 2030. »

Le fait que l’information soit fausse est évidente pour au moins deux raisons. La première est que, avec le temps de validation puis de ratification de la loi, il n’y aurait que quatre ans pour la mettre en œuvre, ce qui est évidemment impossible. La deuxième est que la loi française ne peut prévoir cela dans la mesure où l’acception des espèces est une obligation au niveau européen.

 


Il y a des gens qui sont obnubilés par la baisse des espèces. Forcément, on paie de plus en plus par carte, surtout en sans contact, y compris pour les petits montants ce qui est relativement récent. Pour autant, la part des paiements en espèces dans l’ensemble des paiements est à 43% (en nombre) et ils n’ont été dépassés par les cartes qu’en 2024 et le nombre de paiement par téléphone portable (de l’ordre de 5%). L’impression que l’on peut avoir est donc faussée par nos propres comportements (pour ma part, je paie beaucoup par téléphone et je fais beaucoup d’achats par Internet où je paie donc par carte ; je ne sais pas si je dépense 200 euros par mois en espèces, et encore, c’est surtout pour rembourser des copains qui me rendent des services).

Il reste tout de même près d’un paiement sur deux faits en espèces.

 

L’euronumérique, qui est au cœur de ces sujets vu qu’il va sortir prochainement, donne lieu à plusieurs confusions vu qu’il est assez dur de comprendre ce que c’est ! On va vulgariser mais je ne suis pas sûr que je vais être assez clair. Quand vous payez par carte, virement, prélèvement… vous payez avec de l’argent que vous avez sur vos comptes bancaires dans une banque commerciale. En gros, il a été émis par les banques avant d’aboutir sur vos comptes. La création monétaire est elle-même un vaste sujet. Globalement, quand une banque octroie un crédit, elle ne fait qu’un jeu d’écritures. C’est la création monétaire. Quand vous remboursez le crédit, c’est de la démonétisation (la part d’argent créé par la banque diminue).

Reprenons. Tu achètes une voiture mais tu n’as pas assez de pognon. Tu empruntes 10000 euros à ta banque. Clic clac merci Kodak, l’oseille est sur ton compte. En contrepartie, la banque à débité un obscur compte. Elle a créé 10000 euros. On remboursant progressivement, ta banque va détruire les 10000 euros qu’elle a créée (en gros). Mais pendant ce temps, d’autres lascars vont emprunter, rembourser, réemprunter et ainsi de suite. La masse de pognon prêtée par les banques donc créée par elles va croitre. C’est beau, tout ça… Des mécanismes de régulations existent, notamment les accords de Bâle, globalement pour limiter les capacités de crédit des banques en fonction de leurs fonds propres (accumulés avec les intérêts, les commissions, les plus-values…) pour éviter que le système explose (un peu comme à l’occasion de la crise des subprimes). Faudrait pas, non plus, qu’une banque (et donc que plusieurs banques) se retrouvent avec trop de crédit accordé et des clients qui ne peuvent pas rembourser.

Tu as donc à peu près tout compris à la création monétaire par les banques commerciales.

 


Il reste celle par les banques centrales, qui le font en faisant tourner la planche à billet, comme on disait, c’est-à-dire en émettant des pièces et des billets. Elle les refile aux banques commerciales qui peuvent les donner à leurs clients notamment grâce aux distributeurs de billets (qui me font vivre depuis une petite quarantaine d’années). Les banques récupèrent les pièces et billets quand leurs clients en ont « trop », notamment les commerçants.

Pour toi, ça ne change pas grand-chose mais sache que les sous que tu as dans ta poche ont été créés par une banque centrale alors que ceux qui tu as sur ton compte l’ont été par une banque commerciale.

Tu pourras remplir ton portefeuille avec de l’euroélectronique à partir d’un système de banque, l’équivalent d’un distributeur automatique de monnaie (mais tu l’auras sur une application ou par internet). Tu diras à ta banque : « file moi 30 euros ». Elle les foutra dans ton portefeuille et débitera ton compte. Comme pour un retrait sur un GAB.

 


Nous voila arrivés brillamment au chapitre de l’euro numérique. C’est une monnaie qui va être créée par les banques centrales. Celle qui t’appartiendra sera dans un dispositif électronique, un portefeuille numérique, soit dans ton smartphone (par exemple), soit sur le cloud, pour que tu puisses l’utiliser en paiement de proximité et en paiement par internet. Tu l’utiliseras comme une carte bancaire et ce qui va avec (Apple Pay, PayPal, Clic to Pay…) mais le pognon ne sera plus géré par ta banque et n’aura pas été créé par elle.

Toutes mes excuses pour ce tutoiement intempestif.  Le dispositif électronique qui contiendra le pognon sera géré par un sous-traitant d’une banque centrale et pas par l’informatique des banques. Ta banque ne saura pas ce que tu as fait de ton pognon, toutes les transactions seront anonymes.

Pour toi, ça ne va pas changer grand-chose, au fond. Tu auras un truc électronique pour payer. Comme avec ta carte, que tu l’aies physiquement sur toi, que tu l’aies utilisées pour « enrôler » ton téléphone, ou que tu utilises le numéro sur un site web. Il n’y aura pas de révolution, d’autant que les banques ne sont pas spécialement partisantes de ce truc, d’autant qu’elles développent des systèmes concurrents, comme Wero, qui permettront à peu près de faire la même chose pour le client.

 


On a vu un avantage : l’anonymat. Même le fisc ne pourra pas savoir ce que tu fais de ton pognon ou d’où tu le tiens (avec des plafonds, tout de même). On se doute que les gens n’auront que moyennement confiance. Il n’empêche que mon banquier ne pourra pas voir que j’ai dépensé tout mon pognon dans les bistros, il pourra seulement voir le montant qui aura été versé dans mon portefeuille d’euro numérique auquel il n’aura pas accès.

Un autre avantage, quand nous serons à l’étranger, tous les commerçants auront l’obligation d’accepter l’euro numérique (alors que, maintenant, il faut qu’on trouve des commerçants qui acceptent votre carte, donc affiliés à Visa ou Mastercard). Vous me direz que je devrais m’en foutre compte tenu du fait que je ne vais jamais à l’étranger.

Par ailleurs, pour tous les paiements par carte dans un autre pays de la zone euro, qu’il soit de proximité ou par internet, on prendra vite l’habitude de passer par le nouveau bazar ce qui permettra d’éviter des flux financiers et des commissions (indirectement vu que ce n’est pas le client qui paie) à des entreprises américaines cotées en bourse (comme Mastercard et Visa). Espérons que nos chères banques en profiteront pour nous réduire le coût des services…

Enfin, vu de nos institutions gouvernementales ou européennes, il y aura un autre avantage : se réapproprier la création monétaire et maîtriser un peu mieux la quantité de monnaie en circulation. Mais on n’y comprend rien.

Et de toute manière, on image aussi que les banques ne verront pas d’un très bon œil l’euro numérique (en plus, elles gueulent à cause du prix de mise en place, pour elle, mais c’est un peu du pipeau).

 


Il reste le risque de la disparition des espèces…

Tout d’abord, il est à peu près évident que l’euro numérique sera plus concurrent des autres moyens de paiement (carte, téléphone, Wero et autres wallets) que des espèces. La crainte exprimée par certains de la disparition des espèces avec l’arrivée de l’euro numérique est donc une gigantesque connerie.

Mais, si les espèces disparaissent (ce qui n’est pas près d’arriver vu qu’elles sont rendues obligatoires par l’Europe) ou diminuent fortement (ce qui est plus crédible), chacun verra des inconvénients. Je vais en citer quelques-uns : la difficulté d’enseigner à nos enfants la tenue d’un budget (et même le calcul tout court), la difficulté de refiler du pognon aux SDF (rappelons tout de même que la plupart ont des comptes en banques et des téléphones portables ; ils sauront très vite s’adapter à la disparition des espèces ; le problème persistera donc uniquement pour les SDF en situation irrégulière)…

 

Mais n’oublions pas que les espèces sont surtout utilisées par les plus riches ou, du moins, des professions qui touchent des revenus en liquide et peuvent ainsi ne pas tout déclarer, ce qui permet : de ne pas reverser la TVA récoltée auprès des clients, de ne pas payer d’impôts et autres cotisations sur les revenus ou bénéfice, de toucher des espèces pour rémunérer du personnel qui ne sera pas déclaré….

Les espèces de gauchistes qui gueulent contre l’Europe libérale qui crée des moyens de paiements en faisant disparaitre des moyens de frauder feraient bien d’y réfléchir.

 

2 commentaires:

  1. J'ai de moins en moins d'espèces avec moi. Le distributeur est loin, j'ai la flemme de retirer et pas souvent besoin de billets. Je suis un adepte d'Apple Pay, je paye la boulangère avec ma carte (dématérialisée) de tickets Resto et le reste avec ma carte. Je trouve ça bien plus pratique. Y'a que quand le môme réclame son argent de poche que c'est un peu galère, mais comme il mérite pas souvent c'est pas grave 😂

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