10 juin 2015

Au boulot ! [Santé !]

Autre Comète
Tous les soirs ou presque, je fais la fermeture de la Comète. Il y a toujours un flottement, vers la fin, quand le serveur voit qu’il peut peut-être commencer à « rentrer la terrasse » et le moment où il se décide puis tout se précipite, s’il n’y a plus de client ailleurs qu’au comptoir. Je ne sais pas combien il y a de chaises, empilées par 4, et de tables, avec leurs lourds pieds en fonte. Une belle corvée. Un fois que c’est terminé, il faut balayer, rabattre les cloisons,… Puis entamer les comptes de la journée. Compter les tickets restaurants, faire une télécollecte, compter les espèces, vérifier la caisse par rapport à ce qui a été enregistré aux caisses,…

Au début, je me disais que c’était vraiment pénible puis je me suis habitué. Les serveurs aussi, je suppose. Pourvu qu’ils aient fini avant le dernier métro, le temps de boire une bière entre eux, avec moi.

Un jour, j’en parlais avec l’ancienne patronne. Elle m’a répondu : « tu sais, ce n’est pas vraiment le plus pénible ». J’ai répondu : « je sais, j’ai compris, c’est bien plus pénible de sortir la terrasse que de la rentrée. » Elle était « scotchée » de voir que j’avais compris aussi ce volet de leur travail mais elle a fini par comprendre que je connaissais aussi bien le métier qu’eux, sans jamais l’avoir pratiqué. Je ne dis pas cela uniquement pour me vanter mais j’aime me mettre au comptoir d’un bistro inconnu et observer, avec du recul, ce que font très peu de gens qui s’imaginent souvent qu’ils pourraient faire le boulot. Pas moi. Je ne supporterai pas le stress quotidien pour gérer les emmerdes comme le cuisinier qui se blesse à 11h50, qu’il faut amener à l’hôpital tout en assurant le service aux clients. Par contre, j’ai un don. Par exemple, je repère immédiatement, sans chercher à le faire, les erreurs des serveurs, comme ceux qui servent un plat du jour au comptoir sans amener une corbeille de pain ou un café sans le machin avec les sucres. Pires ! Ces erreurs me font mal car j’aime les affaires bien rodées, qui marchent, presque au pas, comme si la troupe de serveurs était une armée bien entrainée. Par contre, je ne fais jamais de réflexion ; je ne rentre pas dans la gestion du commerce même s’il m’arrive parfois de servir de confident au patron, par exemple à la fermeture, lorsque les autres clients sont trop ivres pour jouer le rôle.

Alors pourquoi est-il plus pénible de « sortir » les terrasses que de les rentrer, notamment dans les grandes brasseries, où la terrasse n’est pas fermée, outre le fait de commencer la journée par un effort physique ? Parce que vous ne savez pas si c’est utile, parce que cela prend plus de temps, parce que vous travaillez sans faire de chiffre d’affaire,… Pire, s’il pleut ou s’il vente, vous savez que ce n’est pas utile, mais il faut bien que vous sortiez les tables et les chaises de la boutique pour y faire de la place et qu’il est nécessaire de bien présenter pour que le commerce n’ait pas l’air d’être à l’abandon. Ou, s’il fait beau, vous sortez votre mobilier, mettez les nappes, les couverts,… parfois dans le vent, les serviettes s’envolent… et il vous faut tout rentrer en vitesse à la première alerte météo.

Mais revenons à mon boulot.

Hier soir, on parlait de la nouvelle loi Macron et un copain socialiste ironisait : « chic ! je suis patron, je vais pouvoir licencier qui je veux sans verser plus d’un mois de salaire. » Je voulais répondre : « mais non, tu n’es pas patron. Tu n’es qu’un salarié protégé dans une grosse entreprise et tu passes tes heures de loisir à dire à ton patron ce qu’il devrait faire. »

Mais j’ai fermé ma gueule.

En France, surtout si on est de gauche, il est interdit de réfléchir, de constater qu’on va vers la fin du salariat et que ce ne sont pas que les salariés qu’il faut défendre. Je suis fatigué d’entendre cet argument : « en France, on en fait plus pour les entreprises que pour les salariés. » Et si on arrêter d’opposer les uns et les autres ?

Je connais un bistro où la cuisinière est tombée malade. En fait, on n’a jamais su c’était un cancer ou une dépression. D’ailleurs, on n’avait pas à le savoir. Le patron ne pouvait évidemment pas la virer mais il fallait bien qu’il la remplace mais il ne pouvait pas embaucher car si la cuisinière revenait il aurait eu trop de personnel.

C’est après la fermeture que je discutais avec mon pote socialiste. Alors je lui ai répondu qu’il faisait chier, que les loufiats entamaient leur 12ème heure de travail de la journée. Ben oui, pour commencer à 12h et faire le service du soir, il faut bosser plus de 12 heures (moins une pause) tout en passant une partie de l’après-midi à glander. Cinq jours par semaines.

Personne, à gauche, ne va gueuler au sujet du temps de travail dans les bistros… Et je ne parle pas de ceux qui font de la restauration de 12h à 15h et qui vont donc employer de salariés quatre ou cinq heures par jour, cinq jours par semaine…

La gauche devrait se pencher sur ces sujets, l’évolution de la structure du marché du travail, les contraintes différentes par profession, l’augmentation de la productivité qui permet de réduire le temps de travail pour la production, donc le nombre d’heures travaillées,…

Dans mon bistro préféré, il y a un type qui vient sortir la terrasse et faire le ménage vers cinq heures du matin, jusqu’à l’arrivée du serveur qui fait l’ouverture, à 7h. Il n’est pas salarié. Il est « à son compte », je crois (ce n’est pas mon problème, je n’ai pas à poser la question). Sept jours par semaine. 365 jours par an moins les jours fériés quand il n’y a pas de marché. Et les lascars qui viennent faire les carreaux, le samedi matin, parce que c’est la période de la semaine où il y a le moins de client. On a sympathisé : j’arrive pour l’apéro quand ils partent. Notre « bonjour au revoir » est un rituel.


Tant de questions… Mais c’est plus facile de sodomiser les brachycères cyclorrhaphes.

12 commentaires:

  1. Ceux qui ont tout compris, ce sont les patrons franchisés des Starbucks : le client doit aller se servir et payer au comptoir, ils embauchent juste quelques étudiants sous-payés pour servir au comptoir, et ils passent juste à la fermeture pour ramasser ce qu'il y a dans la caisse; alors que le patron du bistrot classique doit être là de l'ouverture à la fermeture, et se forcer à discuter aimablement avec tous les pochards du quartier .

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  2. moi je ne sodomise que les orthorrhapes... question de goût...

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  3. Vous avez oublié un élément.....les discussions de comptoir....
    Un ami serveur bientôt à la retraite nous avait dit un jour combien les discussions de comptoir sont parfois usantes (surtout quand on n' est pas d'accord et qu'on doit la "fermer"). Le métier de serveur est un métier à part entière et au fil des années je me demande s'il ne faut avoir en plus une sorte de vocation !!
    J'aime aussi les bistrots....surtout en terrasse....il n'y a que là que j'aime le goût du café !

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    1. On est d'accord. Il faut une vocation et aimer cela. Moi-même je fuis mes bistros préférés en semaine avant 19h15 environ pour éviter les discussions. Ou alors je vais dans les bistros avec plein de monde.

      Mais pour tenir un comptoir, il faut avoir cela dans le sang. D'ailleurs je dis plus ou moins dans le billet que je parle pas avec le patron sauf si c'est lui qui vient faire la discussion.

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  4. Il y a un truc qui s'appelle la flexi-sécurité qui, me semble-t-il est dans les tuyaux de la gauche de gvt mais jamais lancé. Bon, c'est vrai que dès qu'un élu essaie de faire un réglage, tout le monde gueule !
    :-)

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    1. Oui c'est très dur de faire bouger des virgules. Le patronat et les syndicats refusent tout truc n'allant pas end leur sens. Tu prends les retraites par exemple, toute réforme est inutile tant qu'on refuse d'augmenter les cotisations (ce qui doit bien se traduire par des compensations : par exemple le chômage ne devrait pas être payé par les entreprises qui embauchent mais par la solidarité nationale).

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  5. Je partage ton opinion de A à Z.
    J'ai pourtant été syndicaliste toute ma vie, DP CE et même déléguée syndicale.
    Y a du boulot pour faire comprendre à nos petits amis de gauche qu'il n'y a pas que des salariés de grosses boîtes en France...

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    1. On est d'accord. Il s'entêtent mais ne voient pas pourquoi les électeurs les fuient : les salariés des grosses boîtes sont - à vue de nez - une dizaine de millions soit moins d'un quart des électeurs.

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  6. ce qui explique bien pourquoi les offres d'emploi dans la restauration / hôtellerie ont du mal à être pourvues...

    Castor

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    1. Oui et non. C'est un boulot qui est souvent (mais pas toujours) bien payé. Mais il fait travailler comme un fou dans des conditions débiles.

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