29 mai 2006

Dette


Depuis quelques temps, j’ai pris l’amusante habitude d’aller me promener sur des blogs de militants UMP, ce n’est pas le tout de débattre avec des gens qui partagent votre avis, il faut aussi récupérer l’avis des autres. Je ne suis évidemment pas d’accord avec ce qui y est écrit, qui relève d’ailleurs souvent de la paranoïa et de quelques idées reçues : les communistes mangent les enfants.

Il y a deux thèmes majeurs qui ressortent dans ces blogs de droite.
Le premier est que les médias sont tous à gauche, c’est pour ça que la droite ne peut pas défendre ses idées. Outre le fait que si Chirac a été élu en 2002, c’est beaucoup parce que ces médias en ont ajouté sur le thème de la sécurité, c’est de la faute à qui si Le Figaro est un torchon infâme, contrairement au Monde et à Libération ?

Le deuxième thème est la dette, qui serait due uniquement à la mauvaise gestion de la France par la gauche, j’y reviens de suite, c’est l’objet de « l’article ».

Ces deux thèmes reviennent comme un leitmotiv dans la plupart des sujets et des commentaires : ils en font une fixation.

A propos de la dette, ces gars-là oublient parfois l’essentiel : les chiffres. Je n’oublie que la croissance économique joue un rôle majeur sur la dette, de même que l’augmentation des dépenses et la diminution des recettes. Aussi, si la dette a diminué sous Jospin, c’est beaucoup grâce à l’excellente conjoncture mondiale. Néanmoins, la politique menée par les gouvernements a nécessairement un impact, d’une part sur la dette elle-même et d’autre part sur la croissance.

Aussi il me semble important d’étudier l’évolution de la dette par législature. Commençons en rigolant. En nous dit que la dette a été multipliée par 5 entre 1981 et 2004. C’est faux. Elle a été multipliée par 5 entre 1980 et 2004. Et personne ne dit par combien elle a été multipliée entre 1973 et 81 ? Rappelons qu’elle est passée de 0 à 1300 milliards de francs. Il faut multiplier par beaucoup.

Plus sérieusement… Ma seule source par la suite est le rapport Pébereau, que l’on peut difficilement qualifier de gauchisant.
Sur la multiplication de la dette par cinq, que j’évoque ci-dessus, et qui me permet d’avoir un magnifique schéma pour illustrer cet article, il nous dit : « Lorsque l’on corrige l’effet de l’inflation, il apparaît que la dette publique financière a été multipliée par cinq depuis 1980, soit une augmentation de 6 % par an, ce qui est considérable. Sur la même période, notre production nationale corrigée de l’inflation n’a en effet augmenté que de 2 % par an. »

Ce n’est pas le tout d’écrire des bêtises dans les blogs, il faut parfois rechercher l’information.

Sur les aspects généraux, on est d’accord : « au regard de ces sommes, notre situation financière apparaît donc aujourd’hui très préoccupante. Elle l’est d’autant plus que sa dégradation permanente depuis dix ans nous distingue nettement de nos partenaires. Nous sommes en effet le pays d’Europe dont le ratio de dette publique s’est le plus accru ces dix dernières années. La plupart des pays ont pris conscience de l’enjeu et ont entrepris de réduire leur dette financière. » De même : « Elle résulte du fait que chaque année, depuis vingt-cinq ans, les administrations publiques sont en déficit. Alors même qu’elles peuvent compter sur le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé des grands pays industrialisés, elles doivent néanmoins s’endetter pour financer des dépenses encore plus importantes (53,5 % du PIB). » Et aussi « Et la France n’a respecté aucun des programmes de remise en ordre de ses finances publiques sur lesquels elle s’était engagée devant les institutions européennes. »

Dans le détail, le rapport nous dit : « Paradoxalement, c’est dans les années qui ont suivi immédiatement la négociation de Maastricht, en 1991, qu’elle a le plus rapidement augmenté : entre 1991 et 1997, la part de la dette dans la production nationale est passée de 36,2 à 58,5 %, soit une augmentation de près de 60 %. » 4 ans de droite, 3 de gauche.

N’oublions pas : « en 2004, la France faisait partie des cinq pays les plus endettés de l’Europe des quinze. En 1994, la situation était radicalement différente, puisque nous faisions partie des deux pays les moins endettés de l’Europe des quinze. ». Cinq ans de gauche, cinq de droite. Regardons la courbe d’évolution de la dette ci-dessus ? Pendant ces dix ans, il me semble voir une période de baisse…

La ça devient un peu technique. Les fainéants vous pouvez passer à la suite : c’est juste pour dire qu’il faut mesurer l’effet mécanique de la croissance sur la dette : « Il est vrai également que dans les périodes où la croissance ralentit, le déficit des administrations publiques a tendance spontanément à augmenter. C’est ce que les économistes appellent le jeu des stabilisateurs automatiques. C’est ce que l’on peut aussi appeler l’effet de ciseau. Les revenus des ménages et des entreprises sont moins élevés, ce qui réduit donc les recettes publiques (TVA, impôt sur les bénéfices des sociétés, CSG...). Dans le même temps, une partie des dépenses s’accroît fortement, notamment les dépenses d’indemnisation du chômage et les minima sociaux. Il est possible de mesurer cet effet de ciseau, et donc de faire la part chaque année entre un solde dit « conjoncturel », dû à cet effet, et un solde « structurel ». En faisant cette distinction, on isole la partie du solde qui ne dépend pas de la situation économique du moment : le solde structurel, qui traduit l’augmentation (en cas de déficit) ou la diminution (en cas d’excédent) volontaire de l’endettement. »

Ouf. Il y a un très joli schéma page (45 sur 189), qui montre l’évolution des soldes structurel et conjoncturel des administrations publiques, qui nous montre que le solde « structurel » est plus souvent mauvais quand la droite est au gouvernement (notamment de 93 à 95).

Pas très bon tout ça : « si le rapport de la dette au PIB a plus que triplé en vingt-cinq ans, ce n’est pas parce que la France a été confrontée à une croissance trop faible, mais parce que ses dépenses publiques sont durablement supérieures à ses recettes. Ces dix dernières années, les dépenses des administrations publiques ont été supérieures à leurs ressources, en moyenne, de 7 % chaque année. Les dépenses de l’État lui-même ont été en moyenne supérieures à ses recettes de 18 % par an pendant cette période. »

Accrochons-nous : « Expliquer l’endettement par la faiblesse de la croissance est donc abusif. C’est pourtant une explication que l’on avance souvent, tout particulièrement pour la dette sociale, qui en moins de quinze ans a atteint 110 milliards d’euros. Là encore, l’impact de la croissance sur cette dette a été très limité. Si cette dette existe et s’est accrue, c’est parce que les dépenses d’assurance maladie augmentent à peu près continûment plus vite (+ 3,2 % entre 1982 et 2002 en volume) que les recettes, bien que celles-ci augmentent globalement aussi vite que la production nationale (2,1 %). De ce fait, l’assurance maladie est en déficit permanent depuis quinze ans. En réalité, les administrations publiques se sont habituées à vivre à crédit. Malgré un niveau de prélèvements très important 1, il n’y avait en effet pas d’autre solution que la dette pour financer des dépenses publiques qui ont fortement augmenté. Entre 1980 et 2004, elles ont augmenté de 7 points de PIB, soit une croissance moyenne de 2,7 % par an en volume. »

Je vous passe une partie (c’est un peu lourd, une histoire de taux d’intérêts) dont je ne retiens qu’une partie édifiante : « c’est que l’effort pour atteindre le seuil stabilisant a été faible. Sur les vingt dernières années, le solde stabilisant n’a été atteint que quatre fois, en 1988 et de 1999 à 2001. Autrement dit, les administrations publiques ne se sont donné les moyens de compenser le coût des frais financiers afin de stabiliser l’endettement qu’une année sur cinq. »

Je passe une autre partie, où il est dit globalement que (quel que soit le gouvernement) on a présenté 8 programmes de baisses du déficit à la Commission Européenne et qui n’ont jamais été respectés, généralement parce qu’ils étaient basés sur des hypothèses favorables. Je passe une autre partie : il y a aussi les objectifs de dépenses de la sécu, notamment sous la gauche plurielle qui n’ont jamais été tenus.

Je passe également la partie suivante, qui pourtant est essentielle. Quand la France a eu des périodes de croissance importante (ce qui a été le cas sous Rocard et Jospin), elle n’a pas assez réduit le déficit. Je n’en fais qu’une phrase, mais ça mériterait de s’y étendre : plus elle a de pognon, plus la gauche en dépense… mais quand les revenus baissent, ce n’est pas facile de dépenser moins.

Pour mémoire rappelons juste l’histoire de la cagnotte : pour une fois qu’on avait un peu de sous à mettre côté, les vociférations de la droite et de la gauche on fait qu’on a été obligés de les dépenser. « Le phénomène a été particulièrement fort en 2000, un an après l’apparition du terme de cagnotte dans les médias. C’est une année qui s’est achevée sur un déficit de l’État de 35 milliards d’euros, soit 12,4 % de ses recettes alors qu’il aurait pu être réduit de plusieurs milliards si le débat public sur la cagnotte n’avait pas conduit à consommer par des augmentations de dépenses et des diminutions de recettes les améliorations du solde budgétaire provoquées par la bonne conjoncture. »

La suite, toute aussi importante, nous rappelle que le dette ne serait pas aussi grave si elle servait a payer des investissements. Je cite un passage histoire de me moquer de Balladur et Juppé « Depuis vingt-cinq ans, le déficit des administrations publiques a toujours été inférieur aux investissements, à l’exception des années 1994 à 1996. » « On pourrait donc en première analyse penser qu’à l’exception de ces trois années, l’augmentation de la dette a financé un effort particulier pour l’investissement. » « En réalité, l’accroissement de l’endettement ces vingt-cinq dernières années ne provient pas d’un effort spécifique en faveur de l’investissement public. » « Les administrations publiques consacrent donc à l’investissement une part de moins en moins importante de leurs dépenses : entre 7,5 et 8 % seulement depuis le milieu des années 1990 contre 9,5 % en 1978. »

Je ne vais pas résumer la suite qui s’attache à décrire en quoi les dépenses publiques augmentent inutilement mais très intéressante… Il y a matière à faire quelques économies ! Mais je n'ai pas que ça à faire de week end de 4 jours en Bretagne...

Juste quelques exemples.

Le premier : quand il y a un report d’activité d’une commune vers une « agglomération », les charges supportées par la commune ne diminuent pas en conséquence. Pour chaque transfert de compétence le problème est le même : décentralisation, …

Le deuxième : il y a parfois des économies évidentes qui ne sont pas faites. Par exemple, avec la montée en charge de l’Europe, on aurait pu penser que le nombre d’employés aux douanes aurait pu baisser, or il a augmenté (ce n’est qu’un exemple, pas une attaque envers nos douaniers dont le travail a peut être changé).

Le troisième : personne ne connaît le patrimoine immobilier de l’état (même chaque ministère ne connaît pas le sien). Comment en faire une bonne gestion ?

Le quatrième (conséquence partielle du premier) : le nombre d’acteurs dans chaque domaine augmente régulièrement (par exemple : redondances de services entre les préfectures et les conseils généraux, entre l’ANPE, l’UNEDIC et le ministère du travail, …).

La troisième partie est déprimante : avec le vieillissement de la population, ça ne va pas s’arranger. Déprimante mais néanmoins intéressante. Exemple : « En France, la part des prélèvements obligatoires dans la production nationale a fortement augmenté dans les années 1970 (+ 5,6 points de PIB entre 1970 et 1980) puis au début des années 1980 (+ 3 points de PIB entre 1980 et 1985), mais elle est restée relativement stable depuis cette date (43,4 % du PIB en 2004, contre 43,6 % en 1984 – données INSEE). Depuis 1985, la part des recettes publiques dans la production nationale est également relativement stable (- 0,6 point de PIB entre 1985 et 2004). » Je traduits : contrairement à ce qu’on pense, le fait qu’on soit arrivé à 44% de prélèvement obligatoire ne date pas d’une vingtaine d’année. La courbe dans le rapport montre que l’augmentation a été surtout importante et régulière entre 70 et 83. Ce n’est pas une consolation mais dans notre « conflit droite-gauche », ça repositionne certains arguments.

Toute la fin du rapport contient différentes préconisations qu’il convient d’étudier avec soin.

Un autre truc qui me plait bien : « Il ne peut y avoir de stratégie de croissance et de cohésion sociale uniquement nationale. L’Union européenne doit être un appui essentiel des politiques nationales de croissance et de solidarité. »

5 commentaires:

  1. Je suis de votre avis sur la dette. Bravo de visiter toute sorte de blogs!
    Un seul point de désaccord. Quand vous dites: "c’est de la faute à qui si Le Figaro est un torchon infâme, contrairement au Monde et à Libération ?"

    Le Figaro est un très bon journal. Il est quelquefois moins à droite que le Monde, ces temps-ci!

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  2. Merci d'avoir tout lu !

    Mon truc sur les journaux c'était une caricature...

    Soyons précis... Je lis parfois Le Monde, très rarement Libé... et plus souvent Le Figaro (c'est quand je prends l'avion à Brest le soir pour rentrer sur Paris, Le Figaro est le seul truc disponible avec le Télégramme !). Je n'aime pas Le Figaro, sauf les pages économies.

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  3. Puisqu'on parle de la dette, voilà une dépêche qui vient de tomber :

    Le Cour des comptes considère que la réduction du déficit budgétaire en 2005 "tient notamment à des opérations exceptionnelles non reconductibles" qui "ne changent pas la tendance de fond du déficit", et a d'autre part relevé "certaines anomalies" dans le calcul du déficit.

    "Des efforts importants ont été faits pour limiter le déficit", à 43,5 milliards d'euros contre 45,2 milliards initialement prévu, a observé Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, en présentant mardi à la presse les rapports de la Cour sur l'exécution budgétaire pour 2005 et sur les comptes de l'Etat en 2005.

    "Néanmoins cette réduction tient notamment à des opérations exceptionnelles, non reconductibles, qui ne changent donc pas la tendance de fond du déficit", a-t-il déclaré.

    "En outre, a-t-il poursuivi, la Cour a relevé dans le calcul du déficit 2005 certaines anomalies".

    "Des opérations ont été enregistrées en recettes budgétaires alors qu'elles n'auraient pas du l'être", a expliqué M. Séguin, en mentionnant des versements de la Caisse d'amortissement de la dette sociale au budget de l'Etat pour 3 milliards d'euros.

    A l'inverse, "certaines opérations qui auraient dû peser sur le déficit n'ont pas été enregistrées en charges budgétaires", a-t-il ajouté, en citant la reprise par l'Etat de la dette du Fonds de financements des prestations sociales agricoles (FFIPSA) pour un montant

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  4. Moi, je trouve pas que je fais une fixation sur le dette. On constate juste que l'Entreprise France' est au bord du dépôt de bilan à cause du manque de courage des gouvernements de gauche et de droite qui se sont succédés depuis 1981.
    tiens, c'est bizarre...1981...non je plaisante..mais pas tant que ça.
    Il faut arrêter de se lamenter sur le passé en se disant 'c'est la faute à qui'. il faut aller de l'avant, opérer une véritable rigueur budgétaire par une baisse drastique des dépenses de l'Etat partout où c'est possible et notamment en supprimant les départements, en supprimant toutes les aides à l'emploi etc etc. Tout ça n'est pas très populaire mais il n'y a plus le choix.
    Il faut aller de l'avant

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  5. Je suis d'accord pour aller de l'avant...

    La question n'est pas de "se lamenter sur le passé en se disant 'c'est la faute à qui'"... mais de lutter contre certaines idées reçues qui pourraient influencer sur notre réflexion en allant vers l'avant !

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