14 juin 2017

Enterrement de vie de garçon

La cérémonie pour les funérailles du vieux Jacques était bien. On était une bonne trentaine. C’est la première fois que j’assistais à la fermeture d’un cercueil. Et surtout que j’étais au premier rang pendant une espèce de messe (c’est un peu à ça que ressemblait la cérémonie au funérarium, le bon dieu était un peu trop présent pour un mécréant comme Jacques, sans doute la famille, les copains de la Comète et surtout moi). Je me suis dévoué, avec Patrice, pour que Miranda s’autorise à vernir au premier rang.

Je suis revenu au boulot avec juste assez peu d’alcool dans le sang pour pouvoir travailler mais le minimum pour l’enterrement d’un copain de bistro comme Jacques. C’est de la faute de la sœur, de la belle-fille et du fils du vieux qui m’ont poussé à boire alors que, normalement, je n’ai pas besoin qu’on me pousse.

Pendant le pot et le repas, je me suis souvenu d’une anecdote que Jacques m’avait racontée. A l’époque, Marcel venait de se fâcher avec Michel (présent aujourd’hui). Plus exactement, Michel s’était fâché avec Marcel parce que ce dernier lui avait dit que sa femme (présente également) le rendait cocu avec le gros Loïc. Marcel croyait rendre service en disant ce qu’il croyait être la vérité mais Michel pensait qu’il se foutait de sa gueule. Michel n’a jamais fait la gueule au gros Loïc. Cet événement nous avait fait rigoler, avec le vieux Jacques, pendant plusieurs semaines.

Tout Jacques, tout moi ! Des copains de bistro !

J’avais préparé un discours pour la cérémonie au cas où un guignol demande si quelqu’un voulait balancer deux ou trois mots. Je n’ai pas eu l’occasion de le faire (ce qui m’arrange bien, autant je peux dire des conneries à l’écrit, les sortir à un pupitre devant une foule me refile les jetons). Alors je vous le refile, au cas où vous en ayez besoin.


Bonjour,

On est aujourd’hui réunis pour Jacques, autour de lui, et je voulais simplement dire un mot sur les copains, car pour Jacques, le vieux, comme on l’appelait, les copains étaient essentiels, surtout les copains de bistro parce qu’il n’y a que là qu’on peut se faire des copains ou presque, des vrais copains, on se rencontre par hasard, on se parle par mégarde et on se trouve des affinités.

Mais les copains, ça meurt. Ca fait 23 ans que j’habite Bicêtre, sans doute 18 ou 19, que je connais Jacques. Le premier copain mort, c’était Robert, le facteur. 80 ans, le cœur. Le suivant, c’était Eric. 31 ans. Jacques les avait peu connus.

Le suivant fut Charly, le vieux bossu acariâtre, un vrai copain de Jacques, lui. Ensuite, on a eu Fernand. Je crois bien que ce sont Jacques et Marcel, son compère, qui ont découvert le corps.

Peu après, il y a eu Henri, le compagnon d’Odette, il y a eu Abdel. Puis c’est Marcel, le compère de Jacques, le mari de Miranda qui nous a quittés. Plus récemment, on a eu le vieux Joël.

Et Jacques, la semaine dernière.

Maintenant, ils sont réunis, là-haut. Ils nous regardent, nous attendent peut-être, vicieux comme ils sont.

Je suis sûr qu’ils sont en train de rigoler, entraînés par Jacques. Il avait beaucoup d’autodérision quand on déconnait entre copains. Quand on le charriait trop, il chantait « Allumez le vieux » sur l’air de la célèbre chanson de Johnny. Il chantait souvent. L’autre jour, Miranda m’a dit qu’elle souhaitait faire passer cette chanson pour la cérémonie. C’était au téléphone, elle n’a pas vu mon sourire quand je l’ai encouragée.

J’imagine Jacques rigoler comme un bossu en entendant « Allumez le vieux » le jour de sa crémation [en fin de compte, la chanson n’a pas été passée]. Et Marcel me traiter de con.


C’est ça, les copains, les copains de bistro, quand une relation de comptoir se transforme en une longue amitié. Jamais assez longue. Merci à tous.

11 commentaires:

  1. Il est humain et sympa ton billet...

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  2. Je ne connais rien de plus sinistrement dérisoire que ces prétendues "cérémonies" qui se donnent désormais dans les antichambres des fours crématoires : cela revient, comme vous le notez, à singer assez pitoyablement la liturgie catholique, mais évidemment sans la moindre transcendance. C'est un peu comme si, après avoir vu Baudelaire écrire sur une feuille de papier les vers d'Harmonie du soir, un chimpanzé surgissait et, par mimétisme stupide, empoignait la plume et se mettait à gribouiller.

    (Sinon, je trouve savoureux qu'un athée inoxydable comme vous vous flattez de l'être en vienne à imaginer ses amis "réunis là-haut" : on ne se débarrasse jamais de la religion aussi facilement qu'on le croit…)

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    1. Ces cérémonies peuvent être "très bien" si elles sont complètement athées. On fait un discours en mémoire du mort, une minute de silence et basta. Mais vous avez raison, quand on simule une cérémonie religieuse, c'est grotesque. Mais c'est mieux qu'il y a dix ans, quand il fallait assister, en plus, à la crémation...

      Je n'imagine pas, je narre...

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    2. Et le plus chiant de ces cérémonies, lorsqu'un religieux (prêtre ou diacre) s'incruste et comme à faire un interminable discours sans connaître rien de la vie du défunt et surtout de ses idées en matière religieuse. Je l'ai vécu il y a peu et mon envie la plus intime a été de me lever et de lui demander de se taire et de casser.

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    3. Ouais. Le pire est que, cette fois, ça a été provoqué sans l'accord de la famille. Mais, comme moi, elle a bon esprit. On a rigolé.

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    4. Un prêtre, s'il fait bien son "boulot", n'a nullement besoin de connaître la vie du mort, ni d'ailleurs ses "idées en matière religieuse" : il se situe (ou doit se situer) sur un autre plan. Les petites bios vite évoquées, c'est bon pour les préposés des crématoires.

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    5. Ca fait plaisir à certains...

      Pour reste, il y a plus ridicule mais je ne peux pas le dire dans mon blog progresssssissste.

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    6. Ah ! On ne voit pas qu'il y a un lien sous "reste".

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    7. Non, Didier, ce "célébrant" n'a raconté que des conneries et de façon interminable et je connaissais très bien le défunt ^puisqu'il s'agissait d'un membre de ma famille.
      Atroce.
      Le préposé du crématorium a, par contre été très digne et a laissé la parole à ceux de ses proches qui, eux, le connaissait très bien et ce fut court et respectueux.
      Il s'agissait d'une cérémonie civile, le défunt ayant toujours manifesté son refus de passer par l'église. Ce bavard n'avait rien à faire là (du moins es-qualité).

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