16 mars 2011

Christine n'aime pas les droits de succession

Il y a quelques temps, avec des copains blogueurs, dont Dedalus, nous avions fait une série de billets et j’ai l’impression qu’il est temps de recommencer, tant les idées reçues sont fortes dans la tête des gens.

Ma copine Christine (décrite aujourd’hui dans tous les bons blogs) vient d’avoir un héritage important et va donner beaucoup de sous aux impôts : les droits de succession ont été au centre de nos conversations, lundi et mardi soir, à l’Amandine.

Nous avons affaire à un cas d’école. Elle a reçu un coup de fil d’un notaire qui lui a annoncé le décès de son père… et le fait qu’elle était sa seule fille et donc héritait de toute sa fortune, à savoir une voiture de merde et un joli pavillon en banlieue Parisienne. Comme le père avait déserté le foyer familial, il y a 49 ans alors que Christine n’en avait que 3 et qu’elle n’a eu aucune nouvelle depuis, Christine n’était pas spécialement chagriné par ce décès mais tout juste amusée de savoir qu’elle avait eu un père.

Elle débarque donc en région Parisienne, se pointe chez le notaire, met la maison en vente et trouve preneur, trois jours après (lundi, donc), pour la bagatelle de 400 000 euros (un peu moins, 400 000 étant en fait le montant de la succession estimé par le notaire).

Néanmoins, Christine gueulait du fait qu’elle allait devoir payer 55 000 euros sur ce paquet : 7 000 au notaire et 48 000 aux impôts. Tous les clients du comptoir ont alors confirmé que c’était scandaleux, une véritable spoliation, nanani nananère. Je me suis donc fâché et ai lancé, en gros : « Dites donc, tas de crétins, Mémère va s’en sortir avec 350 000 euros, soit environ 30 ans de SMIC net alors qu’elle n’a strictement rien mérité, elle ne connaissait pas le gugusse, gugusse qui a renié sa fille donc on ne peut pas dire qu’il a mis du pognon de côté « pour ses enfants » et en plus, c’te vachasse vient chialer parce que sur les 400 000 euros qu’elle a touché, elle va en donner une poignée de cerises à l’état mais entre temps, elle n’a même pas payé une tournée pour fêter ça ! »

J’avais assuré la paix dans le bistro pour ce lundi soir, Christine allait arrêter de la ramener…

Néanmoins, en son absence, hier, et en tout petit comité (Michel le patron de l’Amandine, moi et deux spectateurs), nous avons à nouveau abordé le sujet et, d’une manière générale, les droits de succession.

Michel n’est pas un gars de droite (il suffit de l’entendre parler des logements sociaux et d’un certain nombre de sujets pour s’en convaincre) contrairement à beaucoup de ses collègues mais, comme eux, il a bossé dur toute sa vie pour avoir son commerce et souhaite que son patrimoine revienne à ses enfants.

J’ai essayé tous les arguments traditionnels pour lui montrer les travers des droits de succession. C’est lui qui a bossé, pas ses enfants, ils n’ont rien mérité. Et tout ça… S’ils n’ont pas les moyens de payer les droits sur l’appartement reçu en héritage, ils peuvent aussi le vendre, de toute manière, ils n’auront pas les moyens de payer les charges…

Il était totalement réticent à mes arguments alors j’ai commencé à parler pognon. « Les successions entrainent une concentration du capital avec l’augmentation des prix des commerces qui va avec, du coup, un jeune « qui en veut » ne peut plus se lancer et faire ce que tu as fait il y a trente ans, tout seul, sans l’aide de tes parents. Si tes mômes veulent se lancer, maintenant, ils n’ont pas d’autre choix que de s’appuyer sur toi, un type qui n’a pas de pognon n’a aucune chance de monter une affaire. Les banques ne peuvent pas prêter les 300 000 euros nécessaires pour ouvrir un bistro à un type qui débute, du coup ce sont des groupes financiers qui sont propriétaires des bistros qu’ils mettent en gérance libre et les gérants se font baiser par des loyers trop chers… Si tu regardes les prix de l’immobilier, c’est pareil, un salarié n’a plus assez d’une vie, maintenant, pour devenir propriétaire. »

En parlant pognon, j’ai vu que je commençais à le toucher.

Alors, j’ai enfoncé le clou : « Tu vois, j’ignore totalement ce que tu as, ton bistro doit valoir environ 400 000 euros, tu es propriétaire de ton appart, je suppose. Admettons que ta fortune se monte à 1 million d’euros, je dis ça au hasard. Chacun de tes trois enfants va hériter de 330 000 euros et, avec l’abattement de 160 000, paieront un peu moins de 20% de droits sur 170 000 euros, soit un peu plus de 30 000 euros. Il leur restera donc 300 000 euros ce qui n’est pas rien. Par contre, en tant que commerçant, tu sais ce que tu payes par mois en TVA, en charges sociales, … Ne me dis pas que les 30 000 euros qu’ils vont payer représentent une somme réellement importante… surtout par rapport à 300 000 qu'il leur restera... ».

Touché. Coulé.

10 commentaires:

  1. En ligne depuis près de 3 heures et encore aucun commentaires ! Et moi qui m'en allait dire que j'étais pessimiste quant à la possibilité que la gauche s'empare de ce sujet pour 2012 et propose une refonte de l'imposition sur les successions, pour une plus grande redistribution du capital et l'égalité des chances...

    Pessimiste parce que je me rends compte que même parmi les blogueurs de gauche ce sujet ne fait pas recette, ils bottent en touche avec pudeur, ne l'aborde pas frontalement.

    Aujourd'hui, quant on est de gauche, on parvient à s'affirmer disposés à payer des impôts à hauteur de ce que l'on gagne, mais on n'est toujours pas prêt à ce que nos enfants en paient sur ce qu'ils hériteront s'ils sont suffisamment "bien nés".

    Et les vraiment riches applaudissent, qui savent eux qu'ils sont dans cette affaire les seuls gagnants - eux et leurs chers petites têtes blondes.

    RépondreSupprimer
  2. Bon je vais quand même m'abonner aux commentaires...

    [C'est étrange de choisir de bloguer en italique, quand même. C'est exprès ?]

    RépondreSupprimer
  3. Dedalus,

    Je vois qu'on est toujours en phase !

    (les commentaires sont mous aujourd'hui mais ce n'est pas propre à mon blog)

    RépondreSupprimer
  4. Vrai beau sujet, et je partage tout à fait tes analyses sur la nécessité d'imposer les successions pour limiter la recréation d'une société de privilèges (pourtant abolis depuis une certaine nuit du 4 août).
    Reste qu'il s'agit effectivement d'un sujet tabou aujourd'hui. Les "privilégiés" ont réussi à leurrer M.Toutlemonde que l'État se faisait son beurre sur la mort et qu'il fallait les aider à lutter contre ce prélèvement immoral.
    Cela n'a pas toujours été le cas et je me souviens que dans les années 70 Jean-Jacques Servan Schreiber avait fait adopter par le Parti Radical un programme qui supprimait l'héritage. Ni JJSS, ni les radicaux ne faisaient pourtant partie d'une mouvance révolutionnaire.
    Les temps ont changé et sauf à risquer la cirrhose pour convaincre chaque jour quelques clients dans chaque bistro le dessin humoristique qui accompagne le blog du jour restera inscrit dans la tête de la majorité de nos concitoyens.
    La solution est de profiter du débat sur la réforme de la fiscalité du patrimoine pour populariser l'idée d'un impôt de solidarité sur le patrimoine. Payé par tous pour un taux modique (moins de 1%), il pourrait être redistribué inégalement à chacun selon la valeur de son patrimoine personnel. L'État ne jouerait le rôle que de service intermédiaire et ne profiterait de cette redistribution que dans le cadre de l'imposition sur le revenu l'année suivante.
    La simulation est éventuellement disponible.

    RépondreSupprimer
  5. Anonyme,

    Signe donc...

    Typy,

    On est d'accord. Sauf que je ne fais qu'une histoire de principe de la derniere volonté. Ce n'est pas le mort qui est imposé mais l'héritier et c'est sur cela qu'il faut communiquer.

    RépondreSupprimer
  6. Non, rien. Je voyais tout ton site en italique, et puis je suis passé à Firefox 4 et tout va bien - ça ne venait pas de toi.

    [Firefox 4RC, un sujet pour ton blog geek...]

    RépondreSupprimer
  7. Bon, moi je veux bien applaudir, avec les mains, les pieds, et tout, la démonstration est brillante. Mais quand vous vous mettez à jongler avec les chiffres, j'ai mal au cœur.

    RépondreSupprimer
  8. L'anonyme de 13h26 est tout prêt à signer mais il ne comprend rien aux autres choix proposés pour s'identifier alors il a choisi le plus facile.
    Signé (sans pseudo !!!): JM VERON

    RépondreSupprimer
  9. Tu aurais du traiter le sujet sous l'angle "l'héritage français des musulmans" pour avoir des commentaires ! :-)
    Je trouve qu'au-dessus d'une certaine somme, l'impôt devrait s'appliquer de manière forte et progressive. Tu expliques ça très bien : égalité des chances ! :-)

    [Les banques ne peuvent pas ou les banques ne veulent pas financer ? Autre sujet, je trouve que les banques ne veulent plus prendre le risque de l'économie réelle ! :-) ].

    RépondreSupprimer

La modération des commentaires est activée. Je publie ceux que je veux c'est-à-dire tous sauf ceux qui proviennent probablement d'emmerdeurs notoires.