17 avril 2011

La révoltitude des blogueurs

C’est Guy Birenbaum  qui a évoqué en premier l’article de Xavier Ternisien dans le monde à propos des blogueurs qui ronchonneraient parce que leur contenu est repris par des sites de presse tels Marianne2, Lepost.fr, … sans les rétribuer.

J'ai un premier commentaire à faire. Xavier Ternisien a l'air de penser que le problème est récent. Pas du tout. On en parle depuis au moins trois ou quatre ans. Et je suppose que d'autres en parlaient avant.

Je n’ai pas lu cet article, il est réservé aux abonnés. C’est dommage, on aurait pu buzzer.

J’ai donc quelques difficultés à lui répondre alors je vais me tourner vers mes copains blogueurs. J’ai lu le billet de Romain, hier, et suis entièrement d’accord avec lui. Vous pouvez donc le lire. Il passe sous silence un aspect : le mérite. Je ne crois pas mériter une rémunération n’ayant pas la prétention de développer la moindre qualité. Individuellement, aucun de mes billets ou presque n’a la moindre valeur marchande.

Je ne suis pas journaliste, je suis blogueur. Si des braves gens pensent pouvoir gagner de l’argent avec mes écrits, tant mieux pour eux, mais je ne suis pas persuadé qu’ils obtiennent de quoi payer le salaire de la personne chargée de repérer les bons billets et de les mettre en forme sur leur propre plateforme. L’économie du net est du vent et Gabale revient très bien sur cet aspect.

Les blogueurs « se sont longtemps contentés de la notoriété que leur offrait leur présence sur la blogosphère [et la reprise par des sites de presse]. Certains veulent sortir de « l’économie de la gratitude » et être rémunérés. » Certains, seulement… Pour ma part, ça m’interpelle, on est militants politiques, je veux être lu (et encore…), pas gagner de l’oseille.

Certains de mes billets sont repris par un des plus grands sites d’information en France. J’ai même fait la une de Google News, une fois ! Je n’en éprouve pourtant aucune satisfaction sauf par le fait même d’avoir été doublement sélectionné (une fois par le site et une autre par Google News) : de gens ont lu mon billet et ont estimé qu’il méritait d’être mis en avant. C’est tout.

Le fait d’avoir été lu par des dizaines de milliers de gens me laisse totalement indifférent en tant que blogueur, d’une part, et de militant politique, d’autre part. Les gens qui consultent les sites d’information en ligne et plus particulièrement les articles politiques sont déjà fortement politisés. Un billet, même lu par 100000 personnes, n’a strictement aucune influence : le lecteur est déjà converti à une cause quelconque…

Beaucoup de blogs politiques tournent en rond (je plaide également coupable) avec un public captif. Je ne vais pas convaincre Didier Goux de voter pour un candidat voulant augmenter les droits de succession ou Des Pas Perdus de voter pour DSK. Pourtant ils me lisent à peu près tous les jours et je les lis tous les jours. Je ne voterai ni pour Marine Le Pen ni pour Jean-Luc Mélenchon mais pour le candidat qui sera désigné par le PS à l’issue des primaires.

On nous dit, parfois, qu’il faudrait que les blogs soient plus « influents », se fassent plus entendre. J’adhère ! Mais il faudrait que cette influence aille jusqu’à un grand public, pas uniquement dans des cercles restreints d’observateurs de la vie politique. Ainsi, toutes les initiatives des grands sites qui reprennent des billets de blogs sont à bénir : elles ne permettent pas de sortir de ce cercle mais donnent progressivement un poids de plus à la blogosphère.

Le jour viendra où tous les sites d’information reprendront des blogs, les gens cliqueront puis cliqueront sur les liens, dans les blogrolls, … et la blogosphère se démocratisera un plus. Je continuerai à parler de Wikio en tant que portail d’information qui traite les blogs au même niveau que la presse mettant les billets politiques en avant au gré du hasard et non pas au gré des opinions politiques d’un rédacteur en chef.

A partir du moment où les blogueurs deviennent payés pour produire du contenu, ils s’écartent des autres blogueurs, des 370000 gugusses qui pondent parfois un billet, en France. Ils ne font plus du blogage, ils pondent des billets pour gagner de l’argent. Ils jouent au journaliste. Ils ne sont plus blogueur. Ils font partie d’une espèce d’élite, d’un clan à part.

Aussi, toutes les initiatives particulières pour regrouper les blogs (Marc Vasseur évoque dans son billet – en lien ci-dessous – une initiative qu’il avait lancée avec une espèce de journal politique) aura pour seule vocation à « journaliser » les blogueurs tout en les concentrant dans un cercle restreint de lecteurs, le public captif que j’évoquais : des lecteurs politisés, qui font la démarche d’aller sur un site ou d’acheter un journal.

Si la blogosphère veut, un jour, sortir du bois où elle est cachée, elle doit avancer collectivement, donc très progressivement. C’est dans sa totalité (les 200 000 billets – au hasard – quotidiens, chacun lu par une dizaine ou une centaine de types) qu’elle a vocation a avancer, pas par des initiatives individuelles ou soi-disant collectives mais fermée sur quelques rédacteurs et quelques centaines ou milliers d’abonnés. C'est la masse qui importe, pas un blog pris individuellement. Sinon, ce n'est plus un blog.

Je n’attends pas d’argent pour mes blogs mais j’attends encore moins de gratitude de la part des grands sites de presse : j’attends qu’ils rebondissent sur les billets pour familiariser les internautes avec nos machins personnels. Nul ne sait de quoi est fait l’avenir d’Internet. Ne le captons pas dans un cercle fermé d’individus spécialisés dans l’autosatisfaction…

Un billet peut arriver en une de Google News et être lu par 100 000 passants. La belle affaire ! 45 millions d’inscrits sur les listes électorales. 0,22% auront lu le billet.

La gratitude ? Je m’en fous, au bout de cinq ans de blogage, j’ai fait à peu près le tour des motivations, des chaînes « alors et toi pourquoi tu blogues ? »… Mais c’est le principe de la chaîne. Si j’arrive à convaincre 10 personnes de lire les blogs et que chacun en persuade 10 de faire pareil, la blogosphère aura gagné 110 lecteurs…

C’est peut-être tout ce que j’attends. Que les copains d’enfance cliquent sur mes billets dans mon Facebook puis cliquent sur la blogroll et deviennent fan d’un blog au hasard, reviennent tous les dimanches tenter de résoudre les rébus du Coucou et finalement reviennent périodiquement lire son blog même s’il oublie le mien car je n’ai pas la prétention de vouloir intéresser tout le monde…

Ni rémunération, ni gratitude autre que celle obtenue à la lecture des quelques gens qui viennent me lire régulièrement.

Merci. Hop ! Sites de presse : continuez à reprendre mes billets, pendant ce temps, vous n’êtes pas au bistro.

Cela dit, les billets que j’ai lus avant de rédiger cette bafouille m’inspirent quelques remarques.

La première vient de la conclusion du billet de Sarkofrance de ce matin. « Pour un blogueur, il est toujours facile de rester devant son clavier pour fustiger, sabre au clair, monarque, roitelets et valets qui nous gouvernent. Se frotter de temps à autre permettrait aux blogueurs de comprendre. Et aux journalistes d’apprendre. Il faut sortir les gars ! »

J’ai été confronté plusieurs fois à des journalistes dans le cadre de mon activité de blogueur. A trois reprises, ils ne connaissaient pas du tout les blogs alors qu’ils étaient « là » pour en parler. Je me rappelle d’un moment en terrasse de la Comète, avec Yann, où il avait fallu TOUT expliquer à une journaliste qui devait faire un papier sur le sujet. Aux journalistes d’apprendre. Et le jour où ils sauront ce qu’est un blog, ils pourront peut-être les présenter à leurs lecteurs.

Mais ont-il envie de donner leurs lecteurs aux autres ?

La deuxième vient de l’introduction du billet de Marc : « il convient de distinguer le blogueur qui continue à prendre cela pour un hobby et une bonne occasion de boire des coups et celui qui comme moi, bien qu’ayant débuté comme le premier, aimerait aller un peu plus loin dans la démarche. Celui-là a longtemps « travaillé » sur le concept de l’économie de la gratitude. » Mon blog est bien sûr en lien sous « boire des coups » : la reconnaissance d’un travail…

Marc fait une erreur : j’ai peut-être plus travaillé le sujet que lui.

Mais on s'en fout. Je vais publier ce billet puis je vais aller bouffer à la Comète après avoir pris l’apéro, je ne sais pas où, avec des potes… Sur le comptoir, il y aura l’Equipe, le Pari Turf et le Parisien ouvert aux pages « courses » ou « sport ».

Pourtant, les clients sont des électeurs. Mais aussi des personnages de mon blog. Il y aura le gros Jean-Luc, qui réclamera, comme à chaque fois, une tournée. Il y aura Odette qui viendra chercher mon linge parce que depuis que son mec est malade, elle n’a plus que des revenus annexes pour se payer ses verres. Il y aura Jean-Michel, le clarinettiste chauve, qui rigolera bêtement parce qu’il aura commencé l’apéro à 10h30. Il y aura le vieux Jacques mais la fin de mois approche. Il y aura Patrice qui devrait pouvoir commencer à emprunter des sous pour payer des coups, la paye arrive.

C’est probablement le seul, Patrice, parmi les lecteurs, à lire mon blog. Pourtant il est connu dans le quartier depuis que j’avais eu droit à un article avec ma photo dans le Parisien. « Tiens ! Ca fait longtemps que je n’ai pas été voir ton blog. » est probablement la parole que j’entends le plus souvent quand je croise des gugusses, le dimanche matin, sur le marché de Bicêtre.

Personne à part Patrice ne lit mon blog. C’est très bien ainsi. Et encore, il va gueuler parce que ce billet est trop long. C’est très bien ainsi car je peux raconter des conneries sur leur dos, raconter pourquoi le mari d’Odette est malade, émouvoir 100 ou 200 lecteurs qui me le feront savoir par un petit commentaire ou un twit bien ficelé.

Le vieux Joël achète France Soir tous les jours, mais uniquement pour faire les mots fléchés d’Alain Bonhomme. Sauf le dimanche.

Je travaille le sujet : je vais rencontrer des électeurs. Au comptoir, c’est là qu’ils sont.

Et ils ont beaucoup de gratitude quand je paye des tournées.

18 commentaires:

  1. Ta réflexion est biaisée par le fait que tu n'as pas analysé le code de gestion de la monnaie qui régit l'économie !

    "Libre" ou "Créative Common" NE SIGNIFIE PAS GRATUIT !

    http://www.framablog.org/index.php/post/2010/05/17/dividende-universel-valorisation-libre-non-marchand

    Comprendre le CODE de l'émission monétaire :

    http://www.creationmonetaire.info/2010/12/crise-monetaire-quel-debat.html

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  2. On s'en fout, Xavier Niel va tous nous racheter !

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  3. Quel est le rapport ?

    Je ne parle que de l'aspect "gratuit", pas du "libre". Mes billets ne sont pas "libres" (dans le sens où je n'ai pas envie qu'on les reprenne sans mon accord, par contre, je ne revendique aucune propriété)...

    Je me demande si tu as lu celui-ci...

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  4. Seb,

    Je ne suis pas à vendre. Mais s'il me paye un verre...

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  5. Attention Nicolas tu as fait un billet plus long que les miens ! Ca va mal se finir :-)

    Sinon d'accord avec toi, cela étant, comme je le mettais en commentaire chez Juan, nous participons - bon gré mal gré - à la précarisation de la profession journalistique quand des journaux ou magazines reprennent nos papiers, papiers qui participent au remplissage des sites et donc aux revenus qu'ils rapportent ...

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  6. Romain,

    Oui mais le monde bouge. Le déclin de cette profession est inévitable. Mais relatif.

    Quand tu bois une bière chez toi, tu participes à la precarisation des barmans. Des centaines de bistros ferment chaque année.

    En outre, si on existe, c'est aussi parce que les médias traditionnels ne répondent plus à un besoin.

    C'est un débat qu'on a eu plusieurs fois du temps de vendredi. Je trouvais grotesque les gens qui voulaient que je me fasse payer pour être publié parce que, sinon, je participais à la precarisation des journalistes. Or c'est en prenant des sous aux autres qu'on les précarise. Pour la part je me contentais de "profiter" du boulot de Jacques et de son équipe.

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  7. @Nicolas,
    Ouais, toutes les solutions pour élargir le public sont bonnes à prendre. Ce qui importe, c'est de garder un rytme de publication non contraint afin que cela reste un loisir. Je comprends les blogueurs qui se forcent à publier tous les jours des billets intéressants de vouloir se "professionaliser". Le véritable probléme est que ce type de publication volontaire est découragé par les contraintes de survie... Eh oui, faut gagner sa croute !

    Par rapport à ta réaction sur le commentaire de stéphane, c'est faux de dire que tu ne revendiques pas la propriété de tes billets puisque tu en controles la reproduction ou non. Avant d'éditer la GPL, Richard Stallman fonctionnait sur le meme mode que toi. Il autorisait la reproduction et la modification du logiciel à condition que l'on lui demande. Finalement, il a finis par considérer que ça faisait un peu "big brother", il a alors renoncé à son controle.

    De toute façon en droit français, toute oeuvre de l'esprit appartient à son auteur par défaut. Donc que tu le veuilles ou non, tu es propriétaire. Après tu peux choisir un type de licence.

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  8. Antonin,

    Je sais ce que je revendique ou pas. N'accordant aucune valeur marchande à mes billets, je ne VEUX pas de titre de propriété.

    Ce que je ne veux pas est que d'autres fassent un usage commercial ce que je refuse pour ma part de faire.

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  9. Nicolas, votre notion de "mérite" ne tient pas la route et est même très dangereuse : imaginez qu'à cause de vous les patrons de presse arrêtent de payer tout journaliste n'ayant aucun mérite ? Vous voyez le carnage ?

    Sinon, qu'est-ce qui vous prend, d'écrire aussi long un dimanche ?

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  10. Qui est Xavier Ternisien ? Il est tout aussi connu que moi dans mon quatier non ? Enfin, je ne le connais pas plus qu'il ne connaît nos blogs donc à dégager voie douze.

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  11. Yann,

    Je ne sais pas.

    Didier,

    Sauf qu'ils ont un contrat de travail. Ils ont choisi de faire cette profession.

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  12. comme je te le disais précédemment, j'ai commencé à bloguer suite à une grève de blogueuses, j'en ai parlé ici , amusant cette référence au billet de Véronique Anger de Friberg "Les blogueurs sont des briseurs de grève", impossible de remettre la main dessus...

    Amusant aussi de relire mon tout tout premier billet... sur Ladies Room suite à la grève et avant la création de mon blog.

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  13. Je connaissais déjà ton point de vue, il est estimable, mais je ne le partage pas entièrement. L'histoire du mérite est bizarre, en effet. La question n'est pas d'établir s'il y a ou non du mérite à écrire un billet. Quand un patron de presse le reprend, il en tire un bénéfice, si petit soit-il : il devrait te le payer.

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  14. Trop long, trop chiant, trop intello... tu ne pourrais pas causer chiffon ou maquillage ? Merci d'avance. Salutations

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  15. Quand un journal reprend un billet gratuit de blogueur, il occupe la place d'un article payant de journaliste rémunéré. Soit les blogs sont un loisir et n'ont rien à faire dans la presse soit la presse est un métier dont les professionnels touchent un salaire. La rencontre des deux univers pose problème, c'est évident !
    Je remarque que mérite est l'anagramme de métier !
    :-))

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  16. Bon j'étais en train de faire un commentaire mais en fait ça vaudrait un billet. Je vais donc faire le billet.

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  17. d'accord avec le coucou...les journaux sont malins , ils ont trouvé des chroniqueurs, qui fournissent du contenu gratuitement, et ils arrivent à faire passer l'idée qu'ils rendent service aux blogueurs en leur donnant plus de visibilité, plus de visites. laissons la place aux pigistes rémunérés pour remplir les sites des journaux...
    Si demain, un éditeur voulait publier tes excellents conseils de blogueur et qu'il voulait te payer, refuserais-tu au motifs que lorsque tu les as écrit c'était pour le " fun" ?

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  18. Les gens,

    Merci pour vos coms. En fait, j'ai fini par trouver l'article et le lire. Il concerne en fait de gens qui écrivent des billets pour des journaux et pas des gugusses comme moi qui écrivent pour leurs blogs et s'amusent quand ils sont repris.

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