09 avril 2013

De la déclaration de patrimoine à la 6ème République ?

Mon cher Jean-Marc,

Votre gouvernement traverse actuelle une grosse tempête. Il vous faut tenir la barre et continuer. Pour amortir un choc, vous allez annoncer plusieurs éléments visant à moraliser la vie politique avec, en particulier la publication du patrimoine de chaque Ministre, mais il faut probablement profiter de cette histoire pour aller beaucoup plus loin.

Je suppose que vous devez en recevoir un paquet de lettres, ouvertes ou non. Moi, j’aime bien en faire à l’occasion, ça change, plutôt que de faire un bête billet de blog pour gueuler.

Pensez-vous réellement que la situation va s'améliorer parce qu'on va connaître le patrimoine qu'auront bien voulu déclarer vos ministres ? Vous rendez-vous compte que la suspicion contre les plus riches d'entre eux va devenir de plus en plus lourde ? 

La presse répercute bien cette information mais le doute va continuer à s'installer. Votre prédécesseur a parlé à la télévision hier soir. Il n'a rien trouvé de mieux que de déclarer son patrimoine. Différentes personnalités vont le faire. Des journaux vont compiler tout ça. On va être inondés de chiffres. Ceux qui ne diffuseront pas leur patrimoine seront épinglés. 

Pourquoi le diffuser ? Une déclaration au Conseil d'Etat (ou autre machin) n'aurait pas suffit ?

J'espère que les autres mesures seront très fortes mais qu'elles n'empièteront pas sur la vie des ministres. Je lisais l'autre jour une andouille qui exigeait que chaque ministre soit l'objet d'une enquête en bonne et due forme... Ça serait quoi cette démocratie où les ministres sont sous la coupe des services qu'ils doivent diriger ?

Cette histoire a néanmoins un intérêt : montrer quelques divisions à droite. Certains jouent le jeu et trouvent normal la publication des patrimoines. Jean-François Copé, par contre, fait de l’opposition de principe, dénonçant une mesure démagogique. Mais il propose « que chaque chef de gouvernement, dès qu’il installe un gouvernement, demande aux autorités helvétiques que lui soit communiqué un certificat par lequel aucun des membres du gouvernement n’a de compte en Suisse ». Comme si ce n’était pas de la démagogie ! Comme si le Suisse était le seul « paradis fiscal »…

Vous voyez, mon cher Jean-Marc, votre opération a moins pour mérite de monter qu’on a la droite la plus bête du monde. Alors qu’ils pourraient s’unir pour taper sur la gauche ou, au contraire, montrer leur responsabilité politique, ils continuent à s’opposer, entre fillonistes et copéistes : « les fillonistes rappellent aussi en coulisses qu'en décembre 2010, Jean-François Copé, avocat de profession, et Christian Jacob avaient milité pour que les députés qui avaient sciemment menti sur leur patrimoine ne soient pas incriminés pénalement… Face à la bronca que cette proposition avait suscitée, Copé et Jacob avaient alors dû faire marche arrière. »

Par delà ces bisbilles, peut-être faudra-t-il aller plus loin ?

Jérôme Cahuzac a commis des actes probablement hautement répréhensibles, au moins moralement. Derrière toutes les mesures que vous mettrez en place, c’est peut-être le rapport à l’argent de l’homme politique qu’il faut revoir et j’espère que la droite et la gauche sauront marcher la main dans la main, pour redonner confiance à la politique, sinon l’UMP et le PS sont morts.

L’histoire de Jérôme Cahuzac est « exemplaire » : il n’a pas choisi de faire de la politique pour gagner de l’argent mais trouve normal d’en avoir et de le dissimuler. Les élus français trouvent normal de bien vivre. Certains ministres ont des appartements de fonction gigantesque et des avantages incroyables. Les députés, si leur rémunération n’est pas exceptionnelle pour leur « CDD » exceptionnel, touchent de copieuses indemnités.

Les politiciens trouvent normal de faire de l’argent. Nicolas Sarkozy avait déclaré qu’il souhaitait faire du fric après son mandat. Des élus cumulent les postes pour arrondir leurs fins de mois. Il y avait un débat, hier, pour savoir si on pouvait  cumuler un poste de député et un boulot dans le privé. La France n’est qu’en 22ème position au monde des pays les moins corrompus…

« Si les élus français entretiennent un rapport si compliqué à l'argent, ce n'est pas seulement parce qu'ils sont français. C'est aussi pour une raison historique. Au cours des siècles de monarchie qu'a connus le pays, l'apparat du pouvoir a semblé de plus en plus indispensable à son exercice. Après la Révolution, les palais royaux n'ont disparu que pour céder la place aux palais républicains. Les décisions nationales - et locales -se prennent sous les dorures ou à défaut dans de somptueux bâtiments modernes. Les élus se doivent de recevoir avec des mets fins et du bon vin. Ce luxe apparemment nécessaire a nourri un antiparlementarisme vivace. »

Ainsi, Jean-Marc, une des premières actions de votre Gouvernement a été de baisser vos rémunérations. C’est un premier pas. Mais s’il doit y avoir moralisation de la vie politique, il faut aller plus loin. Il ne s’agit bien sûr pas de continuer cette baisse mais de créer un statut de l’élu ou je ne sais quoi qui permettent de garantir qu’ils ne « baignent pas dedans ». L’affaire Cahuzac a jeté un trouble. Néanmoins, il faut rappeler que ce n’est pas en tant que politicien qu’il aurait fait des choses illégales. En tant que politicien, sa faute est purement morale. Pourtant, peut-être que cette histoire marquera aussi la fin de la gauche morale.

Dans son dernier billet de blog, Julien Dray évoque cette fin. « Si l’on doit tirer une leçon de la semaine écoulée c’est bien que la gauche néolibérale, que certains ont nommé « gauche morale », est morte. La « gauche morale » ? C’est ce courant politique qui est né à mesure que le libéralisme était accepté par la gauche et qui a substitué au combat social et à l’émancipation une logique moralisante et compassionnelle, un combat pour des « valeurs » et une philosophie au final assez conservatrice. »

« Cette gauche c’était un supplément d’âme au système capitaliste, une clause compassionnelle ou un adjuvant visant à faire passer une conversion jugée quasi-inéluctable au néolibéralisme. De fait, cette gauche là a, peu à peu, substitué le sociétal au social et brisé une synthèse qui était le fil rouge de la gauche française. Elle a soumis la gauche à un ordre des choses historiquement combattu par le socialisme français. »

Julien Dray estime que, « en France, c’est la rupture nécessaire avec un Vème République qui n’en finit plus d’agonir qu’il faut organiser. » et propose donc d’aller vers la VIème.

C’était le sujet du billet de mon ami Politeeks, hier. Il jette les bases d’une nouvelle Constitution. Lisez-le donc. Je suis d’accord avec tout ce qu’il dit (sauf les départements et le nombre d’élus mais ce n’est qu’annexe et nous avons un Kremlin des Blogs, ce soir, pour en débattre).

Ainsi, cher Jean-Marc, je ne doute pas que vous arriverez à sortir de la crise actuelle ne serait-ce parce qu'on n'a pas le choix et qu'une partie de l'opposition est à l'ouest... En fait, la seule opposition audible est à notre gauche et elle commence à lasser...

Profitez-en ! 

Bien cordialement,
Nicolas

8 commentaires:

  1. Oh, ces ridicules déclarations de patrimoine...
    On se croirait dans une salle de classe: un instituteur pince un enfant en flagrant délit de vol. Moyennant quoi, il demande à tous les autres de retourner leurs poches.

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    1. Il y a un peu de ça. Avec en plus les mômes des classes voisines qui veulent retourner les leurs...

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  2. Je ne dirai pas que l'opposition de gauche commence à lasser pour cause de grandiloquence. C'est seulement que ceux qui discourent ne vont pas assez loin : en fait ils ne sont pas assez hardis sur le fond, en revanche la forme ne me dérange aucunement.

    Ce ne sont pas les bases d'une nouvelle Constitution qu'il faut mettre urgemment en place, mais celles d'une Constituante, qui décidera collectivement d'une nouvelle donne. Nul doute, la Constitution nouvelle aura peu de rapports avec le texte actuel, en grande partie écrit par Michel Debré pour une monarchie parlementaire à usage unique. Elle a tout de même 55 ans !

    Ceci dit, rien de comparable avec la constitution britannique, qui à quelques jours près annonce ses 798 ans.

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  3. "un Vème République qui n’en finit plus d’agonir"
    Ça ne serait pas plutôt d'agoniser qu'elle ne finit pas ?

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  4. Bonjour
    Billet intéressant. Mais pour ce que dit J. Dray sur la fin de la « gauche morale », j’ai des doutes …

    Pour moi, une loi sur la moralisation de la vie politique ne mènera pas bien loin. Les politiques sont trop velléitaires sur ces sujets liés au pouvoir et à l’argent. cf Financement des partis et Cumul des mandats. Je ne dis pas « Tous pourris ! ». Ou disons pas plus que nous tous, mais très tentés et depuis trop longtemps durant leurs multiples mandats. Et dans une trompeuse impunité … Perte de repères.
    La solution serait de véritables contre-pouvoirs : des médias indépendants, des juges avec une vraie puissance d’investigation, etc …
    La bipolarisation de la vie politique est aussi une partie de problème. Je connais trop d’élus locaux (socialistes en l’occurrence, issus de la classe moyenne pour la plupart) qui se sont embourgeoisés, car élus quasiment à vie. Et cela attire aussi des personnes qui ont déjà de l’argent, mais veulent en plus le pouvoir. Et disent que la lutte des classes n’existe plus.
    Cdt
    Thomas

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