13 juillet 2013

De Bicêtre à Brétigny


Il était 18 heures quand j'ai reçu une alerte par mail : catastrophe ferroviaire à Brétigny-sur-Orge, de nombreuses victimes. Je suis allé sur internet. Il n'y avait pas plus d'information. Brétigny-sur-Orge. Ce nom traînait dans ma tête. Quelqu'un de mon équipe habite par là. Qui ?

Une collègue passe dans le couloir, je l'interpelle. Hé ! On n'a pas quelqu'un de l'équipe qui habite par là ? Si ! Moi ! Me répond-elle. Des amis à elle l’avaient appelée pour la prévenir. Elle avait appelé son mari et ses enfants : tout allait bien de leur côté. Elle était donc évidemment plus préoccupée par son retour à la maison que par les potentielles victimes. Je me suis naturellement pris au jeu. Je venais d’éteindre mon PC. Je prends mon iPhone et cherche des informations : rien de plus. Elle repart.

18h13. Je ne sais pas pourquoi je me rappelle de l’heure. Je me lève, fais un tour des bureaux. Nous n’étions plus que tous les deux. Et encore, je ne la trouve pas. Elle devait être partie « se repoudrer ». Je décide donc de partir et je lui envoie un SMS de bon courage.

En sortant de la tour et en marchant vers le métro, je regarde Twitter. L’accident était bien sûr le sujet majeur. Je vois un tweet expliquant que tout le réseau était fermé. Nouvel SMS. Elle me répond : « hé bien, je ne suis pas rentrée. » J’arrive sur le quai du métro. Il était noir de monde. J’ai cru pendant quelques minutes qu’il s’agissait d’un dommage collatéral mais je ne voyais pas trop le rapport, pour ma station. Il n’y a pas de gare SNCF à proximité. En fait, on a appris plus tard qu’il y avait un incident technique sur la ligne 1. De fait, j’ai moi-même un peu galéré pour rentrer, perdant une vingtaine de minutes. L’ambiance était morose. Internet ne passant plus dans la station, je suis passé à autre chose.

Je pensais à mes propres craintes de ne pas pouvoir rentrer et à celles de ma collègue qui devait à moitié paniquer. J’aurais du rester avec elle mais nous sommes tellement habitués à ce que certains restent plus tard seuls pour quelques actions sur les serveurs après les heures de pointe que je n’y avais même pas pensé. Puis, j’ai repensé à la catastrophe. Le dernier site que j’avais consulté était celui du Figaro qui annonçait de nombreuses victimes.

Je me suis dit que nos craintes étaient dérisoires. Un tel train doit contenir des centaines de personnes. Il y avait donc des milliers de gens, en France, qui se demandaient si des proches étaient encore vivants. Ce matin, encore, l’identification des corps semblait ne pas être terminée. Je pense beaucoup à ceux qui ont vécu une nuit d’angoisse. Je pense à ceux qui vont continuer à attendre et à ceux qui vont recevoir la nouvelle, froidement. J’ai eu envie d’appeler ma mère et lui dire que je n’avais rien, que je ne vais jamais dans ce quartier, que, quand je vais à Limoges (ce qui m’arrive une ou deux fois par an), je prends l’avion. Le téléphone ne passait pas.

Une heure plus tard, je sors du métro. J’étais arrivé. Une heure dix au lieu de cinquante minutes. Direction la Comète. J’étais plongé dans l’iPhone à chercher des nouvelles. Je crois que le site du Monde annonçait neuf morts. Je salue les copains, au comptoir, qui commencent à se foutre de ma gueule : « Putain ! Mais tu vois rien ! » Je lève les yeux, il y avait des pompiers partout. Un incendie s’était déclaré dans l’immeuble à côté de la Comète. Si j’ai bien compris, un type s’était endormi en laissant un truc dans son four et le feu était parti. Les pompiers avaient rapidement éteint ça et évacué le type qu’ils avaient sorti, en caleçon, par la grande échelle. Il était tout noir. Quelques minutes après mon arrivée, les pompiers commençaient à ranger leur matériel. Deux très jeunes – peut-être pas 18 ans – sont venus boire un verre d’eau au comptoir et ont vaguement confirmé notre version.

Je regardais l’avenue. Plusieurs ambulances des pompiers sont passées, vers l’hôpital de Bicêtre, un des plus gros de la région. Je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé qu’il devait s’agir de blessés de Brétigny qui étaient envoyés « chez nous ». En fait, ce n’était que le quotidien…

A un moment, un convoi avec des voitures officielles est passé devant la Comète. J’ai pensé qu’il pouvait s’agir de François Hollande ou de Manuel Valls se rendant à Brétigny par la Nationale 7, tout le reste devant être bouché. En fait, les horaires ne coïncidaient pas, ça devait être une autre huile.

Comme tous les soirs, vers 20 heures, je suis allé à l’Amandine, en face de l’immeuble où avait eu lieu l’incendie. Il avait été très incommodé par la fumée et était encore sous le choc. Je consulte l’iPhone, on en savait toujours pas beaucoup plus. D’ailleurs, ce matin, on ne sait toujours rien à part que six morts ont été confirmés et que les travaux en cours dans le coin ne sont pas en cause. Il s’agit peut-être d’un aiguillage qui a merdé ou d’une roue qui a eu un problème…

20h30. Je repense à ma collègue. Je lui envoie SMS. Elle me répond qu’elle a eu un peu de chance et qu’elle a pu trouver un train pour Evry. Elle est arrivée chez elle à 20 heures. Je suppose que son mari a été la chercher à la gare.

Retour à la Comète, avec un pote.

Jusqu’à la fermeture, j’ai suivi Twitter. J’ai été surpris du nombre d’élus qui faisaient un discours pour présenter des condoléances. C’était presque obscène, comme s’ils cherchaient à profiter de l’événement pour exister et comme si quelqu’un en avait quelque chose à cirer de leurs condoléances. Les morts ne sont pas du coin, de leurs circonscriptions électorales. Le patron de la SNCF avait parlé, le président de la région et celui de la République aussi. Pourquoi en ajouter ?

La journée va être terrible et très longue pour certains de nos compatriotes. Pensons à eux.

La polémique viendra après. Mais elle viendra. L'entretien du réseau a-t-il été correctement fait au cours des dernières décennies ? Je crois connaitre la réponse.



4 commentaires:

  1. " Il y avait donc des milliers de gens, en France, qui se demandaient si des proches étaient encore vivants."

    ...dont votre serviteur: ma femme avait pris le Paris-Limoges-Brive-Toulouse de 13 h 57; mais je me suis vite rassuré, en apprenant que l'accident avait eu lieu à Brétigny, qu'elle avait alors dû largement dépasser (à 17 h., elle était près de Limoges.)

    Mais enfin, c'était la même ligne, et le train juste après le sien.

    (pourquoi je raconte ça? tout le monde s'en fout!)

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    1. À votre âge, vous avez encore une femme qui vous supporte ?

      Cela étant, vous pouvez raconter tout, ici. C'est l'intérêt des blogs. On parle avec des vrais gens pas d'obscurs militants.

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  2. le gars qu'ils ont évacué et qui était tout noir c'était Tonnegrande ? ......... ok je sors

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    1. En rédigeant mon billet, je pensais à l'ambiguïté de ma connerie mais je l'ai laissée.

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